Un rapport de l’ONU publié en 2013 sur le « Vieillissement de la population mondiale » a conclu qu’au rythme actuel, le nombre de personnes âgées de 60 ans et plus sera supérieur au nombre d’enfants de moins de 15 ans d’ici 2047, notamment en raison de l’allongement de l’espérance de vie et de la baisse du nombre des naissances. Une vie plus longue et en meilleure santé pour un nombre plus important d’individus, cela s’apparente à une vraie réussite pour l’humanité. Mais depuis des années, ce « tsunami gris » tourmente les démographes et décideurs politiques. Cette déferlante grise, avertissent-ils, pourrait entraîner le monde dans une spirale infernale : moins d’employés, davantage de personnes âgées nécessitant plus de soins, des dépenses de santé plus élevées, une augmentation des dépenses publiques liée à la sécurité sociale et aux retraites, diminuant de ce fait les recettes fiscales pour payer ces obligations en raison de la contraction des réservoirs de main-d’œuvre, des économies stagnantes, d’une pauvreté croissante et d’un effondrement économique mondial.
PLUS SAIN ET ECOLO : VIEILLIR A DU BON
Confrontés à l’inévitable, les gouvernements et entreprises repensent le vieillissement. Vieillir pourrait finalement avoir du bon. Après tout, n’est-ce pas le savoir, l’expérience, la sagesse et les compétences qui s’avèrent précieux ?
« Nos aînés sont plus avertis que les personnes plus jeunes, et ils sont également plus stables sur le plan émotionnel », déclare Laura Carstensen, directrice du Stanford Center on Longevity (Centre de recherche sur la longévité) situé en Californie. Les employeurs considèrent le savoir et la stabilité comme des ressources précieuses, notamment dans les économies de la connaissance.
Parallèlement, dans une enquête menée en 2014 par le Transamerica Center for Retirement Studies (Centre transaméricain d’études sur la retraite), 87 % des employeurs interrogés déclaraient que les employés plus âgés constituaient une « ressource précieuse en termes de formation et de tutorat. » De même, 86 % des employeurs ont estimé qu’ils représentaient une « source importante de connaissances institutionnelles. » Les employeurs ont par ailleurs indiqué qu’ils favoriseraient la flexibilité des horaires de travail et proposeraient d’autres incitations afin de garder plus longtemps les employés très estimés qui, autrement, prendraient leur retraite.
L’Académie nationale d’ingénierie des États-Unis (National Academy of Engineering, NAE), a constaté que de nombreuses entreprises américaines avaient déjà tendance à garder des employés plus âgés. La NAE a fait état d’une augmentation des politiques visant à prolonger la vie active et productive d’employés expérimentés, notamment dans les domaines techniques. L’organisation a également évoqué l’« ingéniérie du facteur humain », nouvelle discipline utilisée par les ingénieurs et concepteurs pour répondre aux besoins particuliers des employés plus âgés lors de l’élaboration d’outils et de processus dédiés à une productivité accrue. Ces aménagements passent par l’affichage de textes avec police de plus grande taille, au remaniement ergonomique d’interrupteurs plus faciles à manipuler pour des employés plus âgés, aux mains moins agiles.
Selon le Peterson Institute of International Economics (Washington, DC), le Japon connaît un ralentissement de sa croissance économique globale, toutefois compensé par une augmentation des revenus individuels.
VIEILLIR N’EST PAS FACILE PARTOUT
La plupart des régions les plus pauvres du monde ne sont pas affectées par cette tendance au vieillissement. Des régions isolées, de plus en plus urbanisées et comptant une proportion élevée de jeunes, se multiplient au Pakistan, en Afghanistan, en Arabie saoudite, au Yémen et en Irak, tandis que le chômage contribue à l’agitation. Les villes d’Afrique subsaharienne regorgent de jeunes abandonnant les zones rurales éloignées, laissant leurs aînés à la ferme. Ceci indique que, même dans les pays en développement, les experts s’inquiètent du vieillissement.
« Investir dans les populations plus âgées afin d’améliorer les perspectives de développement peut s’avérer gagnant, mais il ne s’agit pas vraiment de la pensée dominante », déclare Isabella Aboderin, responsable des programmes liés au vieillissement et au développement à l’African Population and Research Center de Nairobi (Kenya). « À titre d’exemple, 70 à 80% des aînés en Afrique subsaharienne restent dans les zones rurales, tandis que les plus jeunes privilégient les villes en expansion », explique-t-elle.
« Les petits exploitants agricoles sont principalement des personnes plus âgées ; il en va de même pour ceux qui restent cultiver les terres », ajoute Aboderin. « Le secteur agricole doit être redynamisé, notamment pour des raisons de sécurité alimentaire. Les personnes plus âgées ont une importance stratégique si vous souhaitez commencer à faire bouger les choses. »
« INVESTIR DANS LES POPULATIONS PLUS ÂGÉES AFIN D’AMÉLIORER LES PERSPECTIVES DE DÉVELOPPEMENT PEUT S’AVÉRER GAGNANT, MAIS IL NE S’AGIT PAS VRAIMENT DE LA PENSÉE DOMINANTE. »
ISABELLA ABODERIN
RESPONSABLE DES PROGRAMMES LIÉS AU VIEILLISSEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT À L’AFRICAN POPULATION AND RESEARCH CENTER DE NAIROBI (KENYA).
« Les gouvernements prennent peu à peu conscience du défi à relever », ajoute-t-elle. En 2016, par exemple, l’Union Africaine a adopté ses premiers protocoles sur les droits des personnes âgées. Ces droits deviendront juridiquement contraignants s’ils sont ratifiés par au moins 15 États membres.
MOINS D’EMPLOYÉS, PLUS DE PRODUCTIVITÉ
Dans les pays développés, les preuves liées aux effets du vieillissement sur la main-d’œuvre sont déjà bien visibles, notamment dans l’industrie de l’aviation et de l’aéronautique en Amérique du Nord. Le secteur, qui alimente bon nombre de programmes de défense de la région, va perdre environ un tiers de ses employés qui partiront à la retraite au cours des prochaines années. Les représentants de l’industrie ont donc mis en garde les législateurs du Congrès américain quant à la nécessité de prendre des mesures.
« Il est ici question d’employés qualifiés. Les constructeurs aéronautiques sont actuellement confrontés à une pénurie de personnel qualifié », déclare Eliot Norman, consultant aéronautique pour le cabinet d’avocats américain Williams Mullen. Les employés qualifiés partent à la retraite alors qu’en parallèle, les fabricants ont suffisamment de commandes en attente pour faire tourner leurs usines pendant encore 12 à 15 ans. Et les États-Unis ne sont pas les seuls à être touchés par cette pénurie. Les industries pétrolière, chimique, minière, militaire et aéronautique d’Europe ont commencé à éprouver des difficultés il y a plus de dix ans, si l’on en croit un rapport économique sur le vieillissement de la main d’œuvre publié par IBM en 2005.
Certains pays se tournent vers l’immigration pour remplacer les employés vieillissants. D’autres souhaitent attirer davantage de femmes dans la population active, celles-ci ayant une espérance de vie supérieure à celle des hommes. La Chine, dont la population de plus de 65 ans devrait égaler la population totale des États-Unis d’ici 2050, a renoncé à sa politique de l’enfant unique en octobre 2015, permettant désormais aux couples d’avoir deux enfants.
La chute des effectifs en Allemagne, en Italie, au Japon et en Russie reflète les tendances au vieillissement dans ces pays. Si l’on en croit les nouvelles recherches menées par le McKinsey Global Institute (MGI), l’institut de recherche macro-économique du cabinet de conseil et de gestion international McKinsey & Company, la Chine et la Corée du Sud suivront bientôt.
Selon les chercheurs du MGI, les deux moteurs que sont le développement de l’emploi et la hausse de la productivité ont alimenté la croissance économique mondiale au cours des 50 dernières années. Si l’accroissement de la main-d’œuvre n’est plus d’actualité en raison des tendances démographiques, la productivité peut encore progresser.
« MAIS QUELLES SERONT ALORS LES MARGES DE PROGRESSION QU'IL FAUDRA EXPLOITER EN MATIÈRE DE PRODUCTIVITÉ POUR MAINTENIR LES TAUX DE CROISSANCE CONSTATÉS JUSQU'ICI ? »
JAMES MANKIYA
DIRECTEUR, MCKINSEY GLOBAL INSTITUTE, évoquant le défi économique lié à la chute des effectifs.
S’interroge James Manyika, l’un des dirigeants du MGI. Il s’agit d’un défi de taille : la croissance de la productivité au cours des 50 prochaines années doit dépasser de 80 % celle des 50 dernières afin de stabiliser le PIB mondial aux niveaux actuels. « C’est absolument vertigineux. »
Depuis 20 ans, le MGI étudie l’agriculture, l’industrie manufacturière et automobile, l’agroalimentaire, le secteur de la distribution et celui de la santé pour comprendre comment augmenter la productivité. « Nous avons trouvé des opportunités pour accélérer la croissance de production à 4 % par an, chiffre plus que suffisant pour lutter pleinement contre le ralentissement démographique, » indique Jaana Remes, associée chez MGI. Les bonnes pratiques existantes et les progrès actuels élèvent déjà la productivité. Le reste doit passer par des améliorations en matière de capital et de technologie, par des objectifs d’investissement à long terme et des politiques économiques non protectionnistes », conclut Jaana Remes.
Rien d’étonnant à ce que le gris remporte soudainement tous les suffrages. Pour la première fois dans l’histoire, le monde a vraiment besoin de l’expérience, de la créativité, et des compétences professionnelles de ses aînés pour maintenir son niveau de vie. ◆