Le changement climatique, la croissance de la population urbaine et le manque d'équipements de base dans les pays en développement comptent parmi les nouveaux défis auxquels les universités doivent préparer les futurs ingénieurs. Mais pour ce faire, elles doivent également former leurs étudiants à penser ces défis différemment et à utiliser les technologies les plus avancées pour les résoudre.
« En tant qu'organisme professionnel, l'un des plus grands défis auxquels nous sommes confrontés est de travailler avec nos membres pour fournir des expériences d'apprentissage qui reflètent la pratique concrète de l'ingénierie », affirme Norman Fortenberry, directeur exécutif de l'American Society for Engineering Education (ASEE). Bien que cela ne soit pas facile, ajoute-t-il, c'est l'une des exigences de la principale mission de l'enseignement de l'ingénierie : préparer les étudiants à répondre aux besoins du marché du travail.
Cependant, travailler à développer et booster la transition de l'enseignement de l'ingénierie à l'échelle mondiale est un défi en constante évolution. Chaque pays ou région est confronté(e) à des défis propres à sa culture et à son économie. Ainsi, dans les écoles d'ingénieurs du monde entier, les associations professionnelles d'ingénierie, composées de doyens et de professeurs d'université, d'ingénieurs à la retraite et de représentants du gouvernement, travaillent de concert avec les enseignants et les représentants de l'industrie pour préparer correctement la génération à venir à de nouveaux défis auxquels leurs prédécesseurs n'ont pas été confrontés.
RÉSOUDRE DES PROBLÈMES RÉELS
Un projet qui a permis aux étudiants en ingénierie de faire l'expérience de défis réels a été développé à l'université Campbell, en Caroline du Nord. Les étudiants de Campbell ont visité un camp de préservation de la faune au Botswana, où ils ont dû réfléchir au problème des batteries du camp qui alimentaient les pompes à eau et se déchargeaient trop rapidement.
Si elles veulent survivre, les universités doivent changer leurs méthodes d'enseignement. Dans le cas contraire, la génération Alpha continuera sans doute de se demander pourquoi elle doit se rendre à l'université.
Şirin Tekinay
, présidente du Global Engineering Deans Council
Les étudiants ont découvert que le mélange d'eau acide à l'intérieur des batteries s'évaporait trop rapidement. Leur solution impliquait donc de remplacer ce mélange, mais seulement après les premiers essais pour s'assurer qu'il était dé-ionisé – une compétence qu'ils avaient acquise en construisant un mini aquarium d'eau salée en cours. Les 24 batteries ont toutes été récupérées et durent maintenant 10 ans. Au cours de ce projet, les étudiants ont partagé leurs méthodes avec les acteurs locaux afin qu'ils puissent continuer à entretenir les batteries.
Cette approche pratique de l'apprentissage basée sur la réalisation de projets – qui contraste avec les traditionnels cours magistraux de l'enseignement de l'ingénierie – a offert aux étudiants l'opportunité d'apprendre en pratiquant, mais aussi en apportant une aide précieuse afin de résoudre un défi commun aux pays en développement qui n'ont pas de réseaux électriques bien établis.
Dans le même ordre d'idées, Norman Fortenberry évoque le programme « Aerospace Partners for the Advancement of Collaborative Engineering » (Partenaires de l'aéronautique pour le développement de l'ingénierie collaborative – AerosPACE), un cours de synthèse de 16 semaines qui rassemble neuf doyens d'universités et plus de 90 étudiants. Avec le soutien des employés de Boeing, ils travaillent ensemble à la conception, à la construction et au pilotage d'un système d'avion sans pilote, capable de relever des défis sociétaux majeurs.
« Le programme réunit des intervenants de l'industrie, du milieu universitaire et du gouvernement. L'objectif : bâtir des compétences clés pour la prochaine génération d'innovateurs aéronautiques, dans un environnement sociotechnique et collaboratif fondé sur les sciences de l'apprentissage », explique Michael Richey, directeur de l'apprentissage scientifique chez Boeing.
« Les avantages comprennent, pour le monde universitaire, la préparation des étudiants en ingénierie à l'espace mondialisé dans lequel ils vivent et la réduction du fossé entre la théorie et la pratique. Pour l'industrie, les avantages concernent plutôt le développement de relations mentor-mentoré entre les employés actuels et futurs, mais aussi la réduction des coûts et la meilleure qualité des profils à l'embauche. »
MÉTHODES D'ENSEIGNEMENT
Dans de nombreux cas, cependant, les enseignants doivent changer le fond et la forme de leur enseignement. Şirin Tekinay, présidente du Global Engineering Deans Council (GEDC), souligne que les entreprises ne sont pas les seules à encourager ce changement. Les étudiants également en ont assez des cours magistraux riches en théorie certes, mais dépourvus d'opportunités qui leur permettent de mettre en pratique leurs apprentissages.
« Si elles veulent survivre, les universités doivent changer leurs méthodes d'enseignement », déclare-t-elle. « Dans le cas contraire, la génération Alpha [personnes nées après 2011] continuera de se demander pourquoi elle doit se rendre à l'université. » Elle conclut : « Je crois que les modèles d'enseignement centrés sur les étudiants afin de les intégrer aux équipes de projet vont se multiplier ».
Comme la génération Alpha, la génération Z (personnes nées du milieu des années 1990 à 2010) a grandi avec le digital et est habituée à pouvoir accéder facilement et gratuitement à l'information. De manière générale, les étudiants de cette tranche d'âge refusent d'absorber passivement les concepts inculqués par leurs professeurs, explique Şirin Tekinay. Ils veulent avoir la possibilité de les apprendre en les appliquant dans des situations réelles.
« On constate déjà une évolution vers un apprentissage plus orienté sur la résolution de problèmes. Les enseignants sont d'ailleurs de plus en plus axés sur les objectifs et l'expérience », affirme-t-elle. « Le modèle d'éducation basé sur la réalisation de projets et les objectifs est une réelle source de motivation pour les étudiants. Il donne du sens à ce qu'ils font et leur montre qu'ils ont le pouvoir d'agir. Désormais, ils « extraient » les informations dont ils ont besoin pour servir le bien commun. Ils contribuent ainsi à générer de la valeur socio-économique et environnementale, en participant à une vie sur Terre qui soit plus durable, plus saine, plus sûre et plus heureuse. »
Le changement climatique, la croissance de la population urbaine et le manque d'équipements de base dans les pays en développement comptent parmi les nouveaux défis auxquels les universités doivent préparer les futurs ingénieurs.
Michael Auer
, secrétaire général de l'International Society for Engineering Pedagogy (IGIP)
Les étudiants souhaitent également être prêts à utiliser et tirer parti des technologies digitales de pointe qu'ils rencontreront sur leur lieu de travail.
« La technologie évolue à un rythme de plus en plus rapide », explique Yolande Berbers, présidente de la Société européenne pour l'enseignement de l'ingénierie (SEFI). « Nous sommes à un véritable tournant et nous dirigeons vers une généralisation du digital, du Big Data et de l'intelligence artificielle (IA). Même les mécaniciens devraient connaître l'IA. Je pense que la plupart des programmes d'ingénierie ont des cours de programmation et de statistiques. Mais peu – en dehors des ingénieurs en informatique – proposent des cours sur l'IA ou le Big Data. Les choses sont en train de changer certes, mais très lentement. »
LA COLLABORATION EST ESSENTIELLE
Tous les experts s'accordent à dire que la collaboration entre les associations professionnelles, le monde de l'enseignement, l'industrie et le gouvernement est essentielle pour relever de tels défis.
L'Illinois Institute of Technology de Chicago, par exemple, a créé un nouveau centre d'apprentissage permettant aux étudiants en ingénierie d'accéder à des applications d'ingénierie digitale, de travailler en équipe, de partager des données et de gérer un projet.
« Je voulais que nos étudiants soient compétitifs et prêts à évoluer dans un environnement de travail digital en constante mutation », explique Natacha DePaola, doyenne du département Ingénierie à l'Illinois Tech. « Mon objectif était de pousser les étudiants à utiliser des solutions digitales de manière efficace pour les préparer au monde du travail. »
Les programmes périscolaires et extrascolaires du centre offrent aux étudiants la possibilité de mettre en pratique ce qu'ils apprennent en classe, explique Natacha DePaola.
« Les étudiants travaillent avec leurs professeurs et leurs mentors d'entreprises sur des problèmes en ligne avec les besoins de l'industrie », déclare-t-elle. « Nous nous efforçons de renforcer nos relations avec les entreprises en identifiant les opportunités de projets mentorés pour les étudiants. Cette approche est essentielle si nous voulons maintenir les méthodes d'enseignement à jour en intégrant la connaissance et l'utilisation de solutions digitales. »
Natacha DePaola affirme que le nouveau centre d'apprentissage a fait des progrès considérables. « Les étudiants ont participé à diverses activités qui ont permis de lancer le centre d'apprentissage, avec notamment l'utilisation d'une plate-forme professionnelle pour l'apprentissage, la participation au développement du matériel pédagogique, leur travail sur divers projets et l'avancement de leurs recherches. »
ALIGNER L'ENSEIGNEMENT ET L'INDUSTRIE
Pour réussir, un programme innovant a besoin du soutien et de la participation active d'entreprises industrielles, déclare Norman Fortenberry. Et cette participation doit aller au-delà du simple fait de proposer des projets aux écoles d'ingénieurs pour que leurs étudiants travaillent dessus.
« Les entreprises doivent expliquer la manière dont leur travail s'inscrit dans le cadre des préoccupations sociétales des étudiants, mais aussi la façon dont les nouveaux employés contribuent à créer un monde meilleur, une question qui inquiète beaucoup les futurs ingénieurs », déclare-t-il.
Les employeurs s'attendent également à ce que les étudiants en ingénierie puissent travailler avec des spécialistes dans d'autres domaines, affirme Norman Fortenberry. Benjamin Goldschneider, doctorant en ingénierie chez Virginia Tech, s'est attaqué à ce défi en aidant à établir un cours pilote dans lequel les étudiants travaillent en équipes de quatre personnes, afin d'adopter une approche pluridisciplinaire. « Je crois que ce cours pilote a été une réussite », a-t-il déclaré. Ce concept a aidé les étudiants à se réunir et à « mieux se préparer au travail qu'ils feront dans l'industrie ».
La participation à des associations professionnelles permet aux écoles d'ingénieurs de se rendre compte qu'aucune entité ne peut avoir toutes les réponses, explique Krishna Vedula, président de l'Indo-Universal Collaboration on Engineering Education (IUCEE). « Les problèmes auxquels la société est confrontée sont si complexes que la collaboration est l'unique moyen d'y répondre », déclare-t-il. « Comment amener les écoles à voir la situation dans son ensemble ? Les pousser à sortir de leur zone de confort, à visiter d'autres institutions, à rencontrer d'autres acteurs de l'industrie et de la société de manière générale. »
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