Aéronautique & défense

SIMULER LA RÉUSSITE

Ginger Gardiner
25 April 2013

9 minutes

Pour proposer plus rapidement au marché de nouveaux avions abordables, les constructeurs doivent simplifier le processus long et coûteux de certification des nouveaux matériaux composites. Si les tests virtuels commencent à remplacer certains essais physiques, les critiques déplorent la lenteur des progrès qui menace la viabilité de l’industrie aéronautique.

Les ailes, le fuselage et la dérive du Boeing 787 et de l’Airbus A350 sont fabriqués en matériaux composites dernière génération, de même qu’une majorité des pièces de structures d’autres appareils en cours de développement. Un coup d’œil aux projets de Boeing et d’Airbus pour leurs futurs avions commerciaux suffit pour comprendre les perspectives  des matériaux composites – aile volante à fuselage intégré, structures qui imitent le squelette, surfaces mobiles déformables et intérieurs qui captent l’énergie.

Des matériaux composites ultra­modernes sont en cours d’élaboration pour permettre la réalisation de tels produits, dont certains sont encore irréalisables aujourd’hui. Néanmoins, la fabrication et surtout les coûts de développement s’opposent à de telles applications étendues, notamment en raison de la méthode actuelle de certification des composites d’avion qui entraîne des milliers de tests physiques coûteux.

Le remplacement d’une partie de ces essais physiques par la simulation virtuelle dans tous les domaines de la production de matériaux composites apparaît comme une méthode prometteuse pour valider de façon plus rentable et plus rapide l’efficacité de nouveaux composites, d’outils de conception perfectionnés et de procédés de fabrication. Pour certains, les simulations informatiques marqueront la fin des tests physiques. Mais bon nombre estime qu’à l’avenir, la simulation et les analyses assistées par ordinateur joueront un rôle bien plus important dans la rationalisation des cycles de développement et la réduction des coûts.

APLANIR LA PYRAMIDE

Parmi les différentes promesses que nous réservent les essais virtuels, on peut citer le premier réservoir de carburant d’engin spatial conçu pour se désintégrer lors de son entrée dans l’atmosphère. C’est Cobham Life Support, à Westminster (USA) qui est chargé de la conception des composites en fibre de carbone pour la mission satellitaire Global Precipitation Measurement du centreGoddard de la NASA. Le programme de développement de Cobham répond à tous les objectifs fixés par la NASA en termes de coût et de calendrier, et a réussi à se conformer aux nombreuses exigences techniques contraignantes, en partie grâce aux multiples essais et conceptions assistés par ordinateur.

Le processus de Cobham a permis de réduire le nombre de tests destructifs de 50%, et économiser près de 500 000 dollars sur le programme de 38 mois. « La conjonction de nos essais et de nos analyses a permis d’améliorer l’efficacité du programme », explique Robert Grande, directeur commercial de Cobham. « Nous avons introduit la propriété réelle des matériaux issue de tests dans les modèles. Ensuite, nous avons procédé aux essais physiques afin de valider les résultats en rééditant le modèle. Les résultats correspondaient à nos prévisions analytiques, des sous- composants à l’éclatement par pression en passant par les tests de fatigue sur le réservoir plein. Nous avions donc passé toutes les étapes de certification au moment où le modèle était terminé. »

Un autre exemple nous vient d’Automobili Lamborghini Advanced Composite Structures Laboratory (ACSL) de l’université de Washington à Seattle (USA), qui développe des composites aéronautiques et automobiles. ACSL travaille en collaboration avec Boeing et la Federal Aviation Administration américaine (FAA) pour améliorer l’homologation des nouveaux matériaux et structures composites, souvent basée sur les principes d’essais virtuels éprouvés par les voitures Lamborghini.

“Les outils de simulation permettent de mieux comprendre l’incertitude de la conception et la manière dont elle se propage.” 

DR. R. BYRON PIPES
Professeur d’Ingénierie, Université de Purdue, USA

ACSL et Boeing ont collaboré sur des méthodes d’analyse de pointe pour prévoir la résistance à l’impact de la Lamborghini Aventador, véhicule monocoque entièrement en composite. L’Aventador a passé son crash-test du premier coup, contre deux ou trois tentatives pour les modèles précédents. À 1 million de dollars le crash, les économies ont été substantielles, sans compter le temps et les coûts épargnés, liés à la fabrication supplémentaire de véhicules d’essai.

UN CHANGEMENT RADICAL

Si de tels programmes dépassent les normes de l’industrie pour les essais virtuels, Dr Byron Pipes, éminent professeur de la faculté d’ingénierie de l’université Purdue (USA), estime qu’ils ne vont pas assez loin.

Selon lui, les tendances actuelles dans le domaine des essais virtuels n’apportent qu’une amélioration marginale, et non le changement d’orientation nécessaire pour favoriser le développement des composites. « Nous sommes encore aux prises avec une production empirique et une certification basée sur des essais physiques », affirme-t-il. « La validation d’un composite coûte 100 millions de dollars par matériau pour être intégré dans un nouvel avion. Une fois homologués, il est financièrement impossible de modifier les matériaux. »

Byron Pipes décrit le développement actuel de composites comme étant dominé par les expériences et uniquement assisté par l’analyse. « Nous possédons la puissance informatique nécessaire pour révolutionner ce paradigme et remplacer des milliers de tests (physiques) par des simulations polyvalentes à différentes échelles de la fabrication et des performances », déclare-t-il. « C’est seulement à partir de ce moment que nous pourrons multiplier les innovations dans le domaine de la composition et du traitement des matériaux, sans passer par des re-certifications coûteuses et répétées. »

Pour repousser les limites des essais virtuels, Byron Pipes propose de créer des outils d’analyse et de simulation avancés et plus largement accessibles, qui pourront servir à comprendre les origines et la propagation de l’incertitude dans la conception et la fabrication de composites. Pour y parvenir, il envisage un pôle de fabrication de matériaux composites en ligne qui permettrait de distribuer des outils de simulation en réseau à travers une interface communautaire. « L’idée provient initialement du crowdsourcing et du besoin de renforcer notre base de simulation en mettant des outils à la disposition de ceux qui n’y ont pas accès pour l’instant », explique Byron Pipes.

Les sociétés plus petites n’ont pas les moyens financiers de se procurer la plupart des outils de simulation, et peuvent uniquement en bénéficier par l’intermé­diaire de plus grandes entreprises et d’universités. Toutefois, la tendance évolue. « Une partie de la capacité de simulation des composites est accessible par le biais de programmes qui tournent sur de petits ordinateurs et même des appareils mobiles », explique Byron Pipes. Il prône le développement d’un pôle de fabrication de matériaux composites en réseau destiné à répartir les coûts, améliorer l’accès et accélérer la conception d’outils de simulation. « Si l’on ne simule pas le procédé de fabrication, on ne prendra jamais conscience de la variabilité totale du composite. »

NanoHUB.org propose un modèle qui se rapproche du concept de Byron Pipes. Créé il y a dix ans, le site met 260 outils de simulation à la disposition de plus de 12 000 utilisateurs et soutient une collectivité de 240 000 membres engagés dans la recherche, des cours et des groupes interactifs. Au cours des 12 mois précédant juillet 2012, plus de 570 000 simulations ont été lancées, 80 nouveaux outils de simulation ont été mis au point, et la durée écoulée entre la publication des outils et leur première utilisation dans une salle de classe était en moyenne de moins de six mois.

LIMITER L’INCERTITUDE

Aujourd’hui, tous les éléments et les pièces sont soumis à des essais physiques avant d’être assemblés et intégrés dans un avion, entraînant des cycles et des coûts de développement intenables. « On ne pourra jamais entièrement passer outre les tests (physiques) pour valider un modèle, mais il faut aborder la question de la certitude des résultats de simulation, ou plutôt la manière de gérer l’incertitude », soutient Byron Pipes. « Les outils de simulation peuvent permettre de mieux comprendre l’incertitude de la conception et la manière dont elle se propage. »

Pour démontrer le potentiel de sa stratégie, Byron Pipes cite la National Nuclear Security Administration américaine (NNSA). Le moratoire sur les essais nucléaires empêche la NNSA, une division du Département de l’Énergie américain, de mener des essais de performance à grande échelle. « Il y a 15 ou 20 ans, nous avons défini une feuille de route pour obtenir une homologation fondée sur la simulation », explique le Dr Mark Anderson, conseiller technique de la NNSA au laboratoire national de Los Alamos, un organisme de recherche bénéficiant du soutien du gouvernement américain. Les points essentiels de cette feuille de route comprennent la transition vers une capacité de prévision validée, fondée sur la simulation et la quantification informatique et physique de l’incertitude des outils de simulation de la NNSA à différentes échelles.

Au départ, la NNSA pouvait simuler la performance de dispositifs nucléaires en fonction de données de tests re-calibrées, antérieures au moratoire. Mais la confiance accordée à ces projections a diminué à mesure qu’elles s’éloignaient des essais physiques. Dès lors, la NNSA a cherché à remplacer ses modèles prévisionnels par des modèles validés basés sur la physique.

1 million de dollars

Le crash-test d’une seule Lamborghini Aventador coûte 1 million de dollars.

L’agence a commencé par remplacer les essais à grande échelle par un grand nombre d’expériences de moindre envergure destinées à valider les phénomènes physiques prévus par les modèles informatiques scientifiques. Ces modèles ont ensuite été adaptés de l’échelle nanométrique et atomique à un niveau macroscopique complet, puis validés à nouveau pour obtenir une capacité de prévision précise. Des vidéos de la NNSA relatent cette réalisation par le biais de calculs intensifs parallèles, en collaboration avec l’industrie et les institutions universitaires. Comme le déclare un porte-parole de ces vidéos, « on entend désormais parler de l’informatique comme le troisième pilier de la science, après la théorie et l’expérience. »

Lamborghini et Boeing ont collaboré avec l’advanced composite structures laboratory (acsl) de l’université de Washington afin d’améliorer les prévisions de performance de collision et de résistance à l’impact du corps monocoque tout-composite de l’aventador, réduisant ainsi le nombre de crash-tests physiques nécessaires pour la certification d’un prototype unique. (crédit photo automobili lamborghini acrc et acsl)

Outre le fait d’être parvenue à une telle réalisation scientifique, la NNSA a commencé à quantifier l’incertitude de ses outils de simulation afin de la réduire. Lorsque l’incertitude associée aux simulations basées sur la science est devenue inférieure à celle des projections fondées sur des essais empiriques, la modélisation a pu remplacer les tests physiques.

L’ÉQUILIBRE PHYSIQUE-VIRTUEL

Mark Anderson estime que la modélisation de composites peut être perfectionnée en adaptant la stratégie de la NNSA. « Pour la plupart des industries, l’idéal serait un équilibre entre l’approche historique fondée sur les essais et celle basée sur la simulation et la quantification de l’incertitude », explique-t-il. Il constate que même si les modèles de l’industrie composite ont été largement théorisés, nombreux sont ceux qui utilisent encore une simple description mathématique correspondant à des données de tests empiriques.

La quantification de l’incertitude implique la gestion de l’incertitude paramétrique et de l’incertitude de la modélisation. « Il faut investir du temps et de l’argent dès le départ », déclare Mark Anderson. « Mais grâce à la capacité de simulation, il est notamment possible de réduire le coût des essais de US$500 000 à US$100 000. » Il remarque que le constructeur automobile américain General Motors a utilisé la quantification de l’incertitude dans des simulations de crash-tests et que la NASA l’intègre aux outils de simulation de l’agence spatiale afin réaliser les tests qu’elle ne peut exécuter physiquement, tels que les réactions dans l’espace ou des essais sur des structures intégrales qui dépassent son budget.

Le résultat est la possibilité de créer des « conceptions robustes », c’est-à-dire à haute performance et sans la « surconception » nécessaire pour compenser l’incertitude. La conception robuste intègre directement l’incertitude dans les modèles. Ceux-ci y sont donc moins sensibles et ne nécessitent pas cette « surconception » destinée à minimiser les risques.

PROGRESSER À QUEL RYTHME ?

Larry Ilcewicz, spécialiste des ressources composites de la FAA, estime que les avantages directs sur le coût de fonctionnement liés aux composites pour les avionneurs seront perdus, à moins qu’une nouvelle technologie composite ne devienne aussi accessible et aussi concurrentielle en termes de coûts de développement, de fabrication et d’homologation que le métal.

La volonté de trouver un « nouvel ensemble structurel d’outils composites pour accélérer la conception et le développement d’avions » s’étend dans le monde entier, de la Certification par l’Analyse  – déclarée défi pour l’aviation de demain par la NASA en 2009 – aux efforts européens de simulation tels que le projet MAAXIMUS (More Affordable Aircraft through eXtended, Integrated and Mature nUmerical Sizing) de la Commission Européenne. L’objectif de ce projet est de tirer parti de la modélisation prédictive à échelles multiples, afin de réduire de 20% la durée de développement, de 10% les coûts de développement, et de 50% la durée d’assemblage des fuselages.

50%

Grâce aux simulations virtuelles, Cobham Life Support a réduit ses coûts d’essais destructifs sur un réservoir de carburant de la NASA de 50%, permettant d’économiser près de 500 000 dollars.

Ces stratégies soulignent l’écart manifeste entre les économies réalisées grâce aux tests virtuels et le potentiel de ce domaine. Afin de commercialiser à un coût abordable les technologies composites – tels que les matériaux stratifiés à axe unique et asymétriques, qui permettent des économies de poids de 40% par rapport à l’aluminium, ou les structures topologiquement optimisées qui utilisent des fibres discontinues et réduisent les coûts de 50% par rapport au pré-imprégné – la fabrication composite doit régler les différences qui opposent la philosophie de la conception, la géographie et les aspirations compétitives pour accélérer son évolution vers une simulation fondée sur la science, les essais virtuels et la certification basée sur l’analyse.

Ginger Gardiner est spécialisée dans l’industrie composite depuis 20 ans. Elle écrit pour de nombreux magazines qui traitent des matériaux composites et a coécrit l’ouvrage « Essentials of Advanced Composite Fabrication & Repair ».

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