À l’horizon 2050, les Nations Unies prévoient que la population mondiale atteindra les 9,7 milliards d’individus, soit 2 milliards de plus qu’aujourd’hui. Une solution possible pour les nourrir : la collecte permanente en temps réel de données de terrain spécifiques sur les semences, les sols, les engrais, les pressions liées aux ravageurs et sur les conditions météorologiques pour accroître le rendement par hectare.
Des dizaines d’acteurs, des entreprises d’équipement et d’approvisionnement aux spécialistes des sols et des cultures, s’engagent pour capturer des montagnes de données agricoles. Jusqu’à présent, cependant, parce qu’il leur manque le traitement et l’analyse sophistiqués nécessaires pour extraire des recommandations spécifiques des chiffres bruts, les agriculteurs n’en tirent que peu d’avantages.
« Les gens recueillent des données ; les fabricants d’équipements collectent d’énormes quantités de données et ils les utilisent », explique Graham Mullier, responsable Sciences des données, systèmes d’information R&D pour Syngenta, une entreprise agrochimique et de semences basée en Suisse. « La question est de savoir quels sont les réels avantages pour les producteurs. »
QUELS SONT LES AVANTAGES POUR MOI ?
« L’absence de mesures concrètes explique pourquoi le secteur agricole a pris du retard dans l’adoption du Big Data », affirme Matt Rushing, vice-président, pratiques culturales globales pour AGCO, un fabricant de matériel agricole américain propriétaire des marques Challenger et Massey Ferguson. « Les agriculteurs aiment cultiver. Ils n’aiment pas avoir à fouiller dans des feuilles de calcul ou des masses de données pour trouver des idées pour améliorer leur activité. Ils veulent voir ces informations proposées sous forme de recommandations concrètes par leurs fournisseurs de services. »
Selon Graham Mullier, la première étape consiste à mettre les données recueillies à la disposition de tous pour qu’elles puissent être compilées et analysées. « Les mouvements et organisations d’accès libre aux données tels que GODAN (Global Open Data for Agriculture and Nutrition) sont de bons exemples de gens qui essaient de résoudre un problème ensemble », souligne-t-il.
« LES AGRICULTEURS AIMENT CULTIVER. ILS N’AIMENT PAS AVOIR À FOUILLER DANS DES FEUILLES DE CALCUL OU DES MASSES DE DONNÉES POUR TROUVER DES IDÉES AFIN D’AMÉLIORER LEURS OPÉRATIONS. »
MATT RUSHING
VICE-PRÉSIDENT, PRATIQUES CULTURALES GLOBALES, AGCO
Mais il ne suffit pas de rendre les données largement disponibles.
« Nous arrivons au point où vouloir ouvrir l’accès aux données sans méthode de catégorisation ou de description n’a pas beaucoup de sens », explique Rich Wolski, professeur d’informatique à l’Université de Californie à Santa Barbara, et codirecteur de SmartFarm, un projet de recherche visant à trouver comment concevoir et mettre en œuvre une approche open source et cloud hybride pour l’analyse de l’agriculture.
« Les producteurs que nous rencontrons sont très, très concentrés sur leurs problèmes », précise Rich Wolski. « Ils n’ont pas envie de réfléchir trop longtemps à l’analyse des données. Il leur faut du concret. C’est facile à dire, mais il n’est pas évident de condenser des données statistiques en consignes simples. »
AGRICULTURE DE PRÉCISION : UN INSTANTANÉ DE DONNÉES
Selon Matt Rushing d’AGCO, le potentiel du Big Data pour faire évoluer les pratiques agricoles est visible dans l’impact de l’agriculture de précision qui a été largement adoptée parce qu’elle offre des avantages tangibles.
Comme l’agriculture digitalisée, l’agriculture de précision utilise la technologie de l’information, le GPS, les capteurs, l’échantillonnage du sol, les logiciels et la télématique pour identifier les meilleures combinaisons de semences, d’eau, d’engrais et de produits agrochimiques afin d’atteindre les « quatre B », c’est-à-dire bons intrants, bonnes quantités, au bon moment et au bon endroit. Cependant, contrairement à l’agriculture digitalisée, l’agriculture de précision recommande des actions concrètes à l’agriculteur en fonction de conditions précises au moment de la mesure. Parce que l’agriculture de précision capture les données à un instant T, les conditions peuvent changer entre deux instantanés.
Cependant, dans le cadre d’un projet de SmartFarm, l’équipe de chercheurs de Rich Wolski a installé durablement des capteurs dans une plantation d’agrumes pour surveiller les conditions 24h/24. En s’aidant de données météorologiques passées, ils espèrent pouvoir déterminer à l’avance à quel endroit un verger subira le gel, ce qui permettra d’avertir les producteurs pour qu’ils concentrent les moyens d’arrosage, les ventilateurs et les appareils de chauffage de prévention contre le gel sur les parcelles les plus exposées plutôt que sur le verger tout entier.
« La prévention du gel est très coûteuse, donc plus nous pouvons nous concentrer sur l’endroit où le gel apparaîtra, plus nous économiserons de l’argent », explique Rich Wolski.
LES DONNÉES : L’AVENIR DE L’AGRICULTURE
Cependant, en dehors du domaine expérimental, les producteurs ne peuvent pas maîtriser la technologie de collecte permanente et en temps réel des données.
« La technologie n’est pas encore au point, mais nous veillons à ce que les modèles analytiques le soient », ajoute Rich Wolski. « En travaillant dans le Dakota du Nord, nous avons constaté que de nombreux problèmes agricoles sont régionaux ou très spécifiques à l’exploitation. En d’autres termes, pour résoudre les problèmes de la Californie, vous avez besoin des données californiennes. Idem, pour le Dakota du Nord. »
Bob Avant, directeur de l’agence AgriLife Research de la Texas A&M University à College Station, précise que de nombreuses entreprises recherchent différentes manières d’appliquer la technologie des données à l’agriculture, mais que les agriculteurs sont trop occupés à entretenir leurs cultures pour avoir le temps de s’investir aussi dans la culture et la récolte des données.
« Il est réellement question d’intelligence artificielle capable d’examiner les tendances de données et d’arriver à des conclusions, » déclare Bob Avant. « Les données sont le futur de l’agriculture, mais nous n’en sommes pas encore là. »