En 2014, Deep Knowledge Ventures, capital-risqueur basé à Hong Kong, a annoncé la nomination de VITAL, un programme d’apprentissage capable de prendre des décisions d’investissement, à son conseil d’administration. Conçu pour analyser les tendances financières issues des bases de données d’entreprises du secteur des sciences de la vie et prédire les investissements prospères, VITAL a déjà contribué à deux décisions d’investissement. Si ce nouveau membre du conseil n’est qu’un algorithme, il soulève de nombreuses questions quant au rôle que l’intelligence artificielle (IA) peut jouer dans nos vies.
Yoshua Bengio, professeur au département de science informatique et de recherche opérationnelle de l’Université de Montréal, est l’un des pionniers d’une forme d’IA remarquable, le Deep Learning (ou apprentissage approfondi). Les principes qui régissent le Deep Learning ont été imaginés dans les années 80, mais les récents progrès des algorithmes informatiques et de la puissance de calcul ont amené le professeur Bengio et d’autres scientifiques à créer des machines imitant le comportement du cerveau humain : des machines capables de reconnaître des individus, des mots, des objets et bien plus encore. « Les ordinateurs actuels sont bien plus puissants et peuvent utiliser des ensembles de données plus importants et variés pour former des réseaux, ce qui leur permet d’être plus efficaces », explique Y. Bengio. « Les avancées les plus impressionnantes ont eu lieu dans les domaines de la reconnaissance vocale et d’objets à partir d’images. En 2012, quand on utilisait moins le Deep Learning, le taux d’erreur sur des tests standards s’élevait à près de 26%. Il a aujourd’hui chuté à environ 6%, ce qui change la donne. »
DES CALCULS PLUS INTELLIGENTS
Siri, l’assistant personnel d’Apple, fonctionne grâce au Deep Learning et à la reconnaissance vocale. Facebook tire profit de cette technologie pour automatiser l’identification sur les photos et personnaliser les flux d’actualités. Netflix, qui diffuse des films et séries en streaming, utilise le Deep Learning pour proposer à ses utilisateurs des suggestions personnalisées. Google l’utilise pour des services comme StreetView, Google Now et Google+ Photos.
Pour impressionnantes qu’elles soient, ces avancées ne sont que la pointe de l’iceberg. Certaines des plus grandes entreprises technologiques du monde, conscientes du potentiel de cette forme d’IA, ont recruté des spécialistes du Deep Learning et ne mesurent pas leurs efforts pour aller encore plus loin.
« Le Deep Learning est plus efficace que les anciennes générations d’algorithmes pour assimiler des masses de données et réaliser des prédictions », estime Adam Coates, directeur du laboratoire d’IA installé dans la Silicon Valley par Baidu, une société Internet dont le siège se trouve à Pékin. « Les unités de traitement graphique nous permettent de réaliser des montagnes de calculs, et ainsi de créer des réseaux neuronaux qui peuvent s’appuyer sur une immense quantité de données pour apprendre d’une manière inimaginable il y a seulement 10 ans. » Baidu exploite les possibilités du Deep Learning pour améliorer ShiTu, son moteur de recherche d’images par contenu. Cet outil, dont la version bêta est sortie en 2010, était à l’origine un système de reconnaissance faciale en ligne. En 2013, ShiTu pouvait grouper des images similaires et donner des informations à leur sujet. Par exemple, il pouvait identifier des images de fleurs similaires ainsi que leur espèce, et les relier aux informations correspondantes dans des encyclopédies en ligne.
ShiTu ressemble au dernier projet de Microsoft sur le Deep Learning : un système de reconnaissance d’objet appelé projet Adam. Microsoft l’a dévoilé en juillet 2014 et affirme qu’il est deux fois plus précis et 50 fois plus rapide que les autres systèmes d’IA. « Grâce aux techniques de Deep Learning, nous avons réduit d’un tiers les erreurs lors des tests de reconnaissance vocale sur le conversationnel », se réjouit Dong Yu, chercheur senior du groupe de recherche sur la parole et le dialogue chez Microsoft. « Dans les prochaines années, nous travaillerons à l’amélioration du traitement de la parole, de la classification des images, du traitement du langage naturel et de la reconnaissance de l’écriture manuscrite. »
Bien qu’il n’ait pas encore révélé comment il exploiterait les capacités du projet Adam pour fournir des applications dédiées aux entreprises, Microsoft prédit un potentiel capable de révolutionner la façon dont les individus interagissent avec leur environnement, à l’aide de techniques comme la réalité augmentée.
DES APPLICATIONS PLUS VASTES
De nouvelles activités en lien avec le Deep Learning se développent dans les industries de l’automobile, de la sécurité et de la défense.
Par exemple, Preferred Networks (PFN), basé à Tokyo, s’est associé à Toyota Motor pour explorer comment sa technologie pourrait servir à développer des systèmes de pilotage automatique pour les voitures autonomes. PFN a également mis au point une solution de prototype d’analyse vidéo qui détecte, suit et prédit le comportement des individus en temps réel, les classant aussi bien par sexe ou âge que par leur tenue ou les mouvements de leur corps. « Cela permettra aux vendeurs de surveiller les habitudes d’achat de leurs clients ou, en l’associant à un GPS et à des capteurs placés à l’intérieur d’un véhicule, d’optimiser la gestion du trafic routier », explique Daisuke Okanohara, fondateur et président exécutif de PFN. La solution devrait être lancée cette année.
« LE DEEP LEARNING EST PLUS EFFICACE QUE LES ANCIENNES GÉNÉRATIONS D’ALGORITHMES POUR ASSIMILER DES MASSES DE DONNÉES ET RÉALISER DES PRÉDICTIONS. »
ADAM COATES
DIRECTEUR DU LABORATOIRE DE RECHERCHE SUR L’IA DE LA SILICON VALLEY, BAIDU
Parallèlement, la plus importante entreprise de recherche sur les communications et la technologie d’Australie, National Information Communications Technology Australia (NICTA), développe un capteur visuel en temps réel basé sur le Deep Learning pour suivre un objet sur une période prolongée.
« Nous pensons que cette technologie peut être utilisée pour les interactions homme-ordinateur, les recherches d’images, des systèmes de transport intelligents (depuis l’entretien des routes aux systèmes d’assistance à la conduite), voire pour créer un oeil bionique qui imiterait la rétine », imagine Yi Li, chercheur confirmé chez NICTA et chercheur adjoint à l’Université Nationale d’Australie, à Canberra.
Enlitic, start-up basée à San Francisco, a d’autres projets dans le domaine
de la santé : développer un système intégré de base de données et d’images qui permettrait aux médecins de diagnostiquer des maladies, communes ou complexes, avec plus de rapidité et de précision. « Nous voulons que notre logiciel offre aux médecins des preuves qui, quand on les combine, indiqueraient que le patient souffre probablement d’une maladie donnée », explique Ahna Girshick, responsable produit et partenariat chez Enlitic. « Par exemple, si le scanner d’un patient montre des tumeurs dans un poumon, le logiciel identifierait les scanners d’autres patients présentant des anomalies similaires, leurs symptômes, les résultats d’analyses, leur sexe, et le succès de leur traitement. Cela aiderait les médecins à prendre des décisions rapides, éclairées et précises. »
IMAGINONS L’AVENIR
Si la plupart de ces applications du Deep Learning en sont toujours au stade de R&D, elles peuvent révolutionner la manière dont les hommes interagissent avec les machines et le monde qui les entoure. « Aujourd’hui, nos capteurs peuvent facilement mesurer les choses et nos ordinateurs peuvent apprendre à reconnaître des objets, mais le problème de la perception est loin d’être résolu », prévient Y. Bengio. « Nos attentes sont importantes et le chemin à parcourir est encore long avant que le Deep Learning permette vraiment aux machines de percevoir et comprendre ce qu’elles voient comme les humains. Lorsque nous en serons là, les possibilités d’applications commerciales seront infinies. »
Des scientifiques parmi les plus éminents au monde nous mettent en garde : nous ne sommes plus si loin des récits de science-fiction où des ordinateurs intelligents dirigent le monde. Le physicien théoricien Stephen Hawking a déclaré à la BBC en décembre 2014 : « Une telle intelligence artificielle pourrait sonner le glas de l’humanité. Elle pourrait s’émanciper et même se réinventer, toujours plus vite. L’être humain, limité par une évolution biologique lente, ne pourrait pas rivaliser et se verrait supplanté. » En janvier 2015, S. Hawking a signé, aux côtés d’autres scientifiques, professeurs et chercheurs d’universités et d’entreprises du monde entier, notamment Yann LeCun, de Facebook, et Geoffrey Hinton et Peter Norvig, de Google, une lettre ouverte pour établir de nouvelles priorités dans les recherches sur l’IA. Cette lettre ouverte, intitulée Research Priorities for Robust and Beneficial Artificial Intelligence: an Open Letter, souligne que si les avantages potentiels des systèmes d’IA sont énormes, il est important « d’étudier comment en tirer profit tout en évitant ses dangers éventuels », afin de garantir que la technologie d’IA soit favorable à l’humanité. Un document annexe de recherche-priorités liste divers exemples de projets de recherche qui permettraient de maximiser le bénéfice sociétal, économique et sanitaire de l’IA, tout en s’assurant qu’elle reste « fiable et bénéfique, alignée sur les intérêts humains ». Le document comporte aussi un avertissement : « le développement de systèmes dotés d’un volume significatif d’intelligence et d’autonomie soulève d’importantes questions légales et éthiques ». Elon Musk, fondateur et PDG de Tesla Motors et de l’entreprise américaine de transport spatial SpaceX, a lui aussi signé la lettre et promis US$10 millions pour financer un programme international de recherche sur l’IA dirigé par l’organisation à but non lucratif Future of Life Institute (FLI). « Tous ces grands chercheurs du domaine de l’IA affirment que la sécurité est essentielle », dit-il. « Et je suis d’accord avec eux. Je m’engage donc à leur offrir US$10 millions pour soutenir des recherches visant à maintenir l’IA bénéfique pour l’humanité. » FLI attribuera la majorité de cette subvention aux chercheurs en IA, et le reste à la recherche liée à l’IA et à d’autres domaines tels que l’économie, le droit, l’éthique et la politique.RESTONS PRUDENTS
Découvrez Google Deep Learning
https://www.youtube.com/watch?v=JBtfRiGEAFI