Des navires sans équipage

Les compagnies maritimes étudient les possibilités de navires autonomes

Rebecca Lambert
1 July 2018

5 minutes

L'un des premiers navires porte-conteneurs électriques entièrement automatisés au monde, le Yara Birkeland, devrait être mis à l'eau fin 2018 et être entièrement autonome d'ici 2020. D'autres navires similaires sont en cours de développement, marquant la naissance d'une nouvelle génération de vaisseaux qui font appel à des logiciels intelligents pour naviguer en toute sécurité.

Sur la côte ouest de la Finlande, se trouve la zone d'essai de Jaakonmeri, une nappe d'eau libre réservée aux essais de navires autonomes. Gérée et contrôlée par la plate-forme d'innovation public-privé finlandaise DIMECC (Digital, Internet, Materials and Engineering Co-Creation), c'est l'un des premiers sites au monde à la disposition de quiconque souhaite tester des navires susceptibles d’évoluer en toute sécurité sans équipage.

L'objectif de DIMECC est d'établir des normes pour les navires autonomes d'ici 2025. Dans le cadre de son écosystème One Sea, DIMECC collabore avec ses membres associés dans le domaine maritime à travers le monde pour lancer des programmes de recherche, former les industriels et établir des réglementations pertinentes en matière de sécurité, de développement durable et de progrès technologiques futurs.

D'où provient l'engagement du groupe ? De sa conviction que la technologie autonome sera d'une grande utilité pour les armateurs.

« Les principaux avantages sont l'amélioration de la sécurité, la durabilité et la rentabilité ainsi que la création de nouveaux modèles de revenus », signale Päivi Haikkola, responsable de One Sea. « Davantage d'autonomie, c'est plus de sécurité en mer, car une grande partie des accidents sont dus à l'erreur humaine [la compagnie d'assurance Allianz estime que l'erreur humaine représente 75 à 96 % des accidents]. La maîtrise des coûts résulte d'une diminution à la fois des dépenses d'investissement et d'exploitation, par exemple une diminution de la consommation de carburant grâce à une planification et une exécution améliorées des déplacements. »

Le rapport A pre-analysis on autonomous ships sur le potentiel de cette technologie, publié en 2016 par l'Université technique du Danemark, confirme les propos de Päivi Haikkola. Il avance que les compagnies réduiront considérablement leurs dépenses en faisant des coupes dans le personnel navigant et d'accompagnement, surtout sur les petits navires qui restent à proximité du littoral, notamment les petits ferrys, les remorqueurs, les barges et autres navires de ravitaillement et de service.

PRIORISER LES NAVIRES

« En raison des restrictions réglementaires et technologiques, les premiers navires à devenir autonomes seront ceux qui sillonnent les eaux côtières et les voies navigables intérieures », indique P. Michael A. Rodey, directeur senior de l'innovation technique pour la société de transport danoise A. P. Moller - Groupe Maersk. « Ces segments sont ceux où nous avons le moins de risques, la meilleure connectivité, l'analyse de rentabilité la plus solide et le moins de défis technologiques. »

Maersk travaille avec des partenaires, notamment Rolls-Royce, pour explorer le potentiel de la technologie de commande à distance et de navigation autonome. En novembre 2017, la société a lancé le Svitzer Hermod, qu’elle décrit comme le premier navire de commerce commandé à distance au monde. En avril 2018, Maersk confirmait tester la technologie de perception et de reconnaissance de situations de l'entreprise américaine Sea Machines Robotics à bord de son nouveau porte-conteneurs brise-glace Winter Palace.

Les navires entièrement autonomes ou sans équipage ne sont pourtant pas un objectif en soi pour Maersk.

« Prenons l’exemple du Svitzer Hermod, ce projet reposait sur une approche technologique quand il a été sanctionné en 2015 », signale P. Michael A. Rodey. « À l'époque, les navires autonomes commençaient à peine à être perçus comme une future réalité, et Svitzer [la société de remorquage de Maersk] travaillait déjà sur quelques idées en la matière depuis plusieurs années. Le Svitzer Hermod avait pour objectif une validation de principe des avancées technologiques, afin de faire de la fiction une réalité et de démontrer que cette technologie fonctionne, est sûre et apporte une nouvelle valeur. »

LA TECHNOLOGIE EN ACTION

Le fournisseur norvégien de technologie maritime Kongsberg équipe quant à lui le em>Yara Birkeland, un porte-conteneurs à ciel ouvert, dont le lancement est prévu pour 2018. Kongsberg a annoncé que ce navire sera le premier porte-conteneurs entièrement électrique et autonome au monde, sans émissions ni lest. Kongsberg fournit les capteurs et l'intégration nécessaires au fonctionnement à distance et autonome, ainsi que l'entraînement électrique, la batterie et les systèmes de commande de propulsion.

Le Yara Birkeland devrait pouvoir naviguer sans équipage jusqu'à 12 milles marins des côtes entre trois ports du sud de la Norvège d'ici 2020. Lorsqu'il sera opérationnel, le navire sera surveillé à distance par trois centres, qui se chargeront de la gestion des urgences et des exceptions, de la surveillance de son état et de ses activités, de la prise de décisions, de la surveillance du navire autonome et de ses environs et d'autres points de sécurité.

« Pour résumer, un système de navigation maritime hautement automatisé a besoin de trois technologies principales : des capteurs (caméras, lidar, radar, AIS, GPS, compas), la connectivité (4G/5G, satellite et maillage) et des logiciels (algorithmes pour éviter les collisions, contrôler la navigation et gérer l'intégrité du navire) », précise P. Michael A. Rodey.

Pour lui, bien que les navires soient capables de se déplacer de manière autonome, la compagnie n'a pas l'intention de se passer de toute intervention humaine. « La plupart des gens ont tendance à considérer l'autonomie comme "l'absence de toute ingérence humaine" », indique P. Michael A. Rodey. « Alors, dans l'industrie maritime, parle-t-on de la navigation seule, ou du navire dans son ensemble ? Dans la mesure où les navires sont composés de machines complexes qui fonctionnent dans un environnement très difficile, aucun bateau ne saurait se passer d'une intervention humaine pour l'entretien. De même, pour que la navigation devienne autonome, le savoir-faire humain sera toujours requis, à moins de développer une véritable intelligence artificielle sensible, ce qui est peu probable de notre vivant. »

UNE QUESTION DE TEMPS

Lors d'une interview accordée à World Maritime News en avril 2017, un cadre de Rolls-Royce affirme que cette technologie deviendra chose courante dans moins d'une décennie.

« D'ici 2025, nous espérons avoir un navire commandé à distance en haute mer, et nous nous attendons à ce qu'ils soient la norme cinq ans plus tard », prédit Oskar Levander, vice-président en charge de l'innovation maritime chez Rolls-Royce.

Päivi Haikkola, de One Sea, acquiesce.

« Les possibilités sont réelles et tous les participants de notre écosystème sont les meilleurs dans leur domaine », affirme-t-elle. « Les technologies sont déjà présentes dans le cahier des charges de nombreux navires qui nous ont été commandés. »

Pourtant, il reste encore du travail avant que le monde ne soit vraiment prêt à accueillir des navires autonomes.

« L'acceptation du public et la prise de conscience de ce que les technologies autonomes peuvent et ne peuvent pas faire doivent se renforcer », prévient Päivi Haikkola. « Nous aurons aussi besoin de règles pour accueillir les technologies autonomes. »

Chez Maersk, P. Michael A. Rodey partage ce sentiment.

« La réglementation, tant au niveau national qu'international, n'a pas suivi la cadence », dit-il. « De même, malgré toutes ses qualités, la technologie n'a pas encore fait ses preuves et son coût est trop élevé. Cela dit, les choses évoluent très vite et les premiers navires autonomes seront déjà déployés d'ici un à deux ans. »

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