Accréditations en ingénierie : valoriser l’expérience et se préparer au monde réel

Le nouvel attrait pour les accréditations par validation des acquis d'expérience permet de rendre les diplômés en ingénierie plus « employables »

Rebecca Gibson
18 December 2020

7 minutes

Pendant des années, certains employeurs se sont plaints du fait que les diplômés en ingénierie qu'ils embauchaient après l'obtention de leur diplôme n'étaient pas suffisamment préparés pour leur poste et nécessitaient ensuite des mois voire des années de formations coûteuses avant de pouvoir apporter une véritable valeur ajoutée à l'entreprise. Les universités et les organismes d'accréditation ont réagi en mettant davantage l'accent sur l'apprentissage et la validation d'acquis en se basant sur l'expérience et les projets. La transition fonctionne-t-elle ?

Si un(e) étudiant(e) diplômé(e) d'une école d'ingénieurs ne peut pas appliquer les théories qu'il ou elle a apprises et ce, dans le cadre du travail pour lequel il a été embauché, est-ce vraiment un(e) ingénieur(e) ?

Au fil des années, les employeurs du secteur de l'ingénierie du monde entier se sont posé de plus en plus de questions. Pourquoi investir des mois voire des années dans des formations complémentaires coûteuses pour leurs nouvelles recrues ? Et pourquoi les universités n'apprennent-elles pas à leurs étudiants à appliquer les théories et formules d'ingénierie dans le cadre des différents types de travaux pratiques que réalisent les ingénieurs dans le monde réel ?

En réponse, les universités et organismes d'accréditation ont examiné avec beaucoup d'attention ce que les écoles d'ingénieurs enseignaient et comment elles l'enseignaient. Ce qu'ils ont découvert a permis de repenser les normes d'accréditation et les programmes d'études universitaires, pour la plus grande satisfaction des étudiants et des entreprises.

« En creusant davantage la question, nous avons découvert que la méthode d'enseignement la plus courante – de longs cours magistraux, avec un professeur s'adressant à un grand groupe d'étudiants – s'avérait en réalité particulièrement inefficace », explique Michael Milligan, directeur exécutif et PDG d'ABET, une organisation non gouvernementale à but non lucratif basée à Baltimore, dans le Maryland et fondée en 1932, qui accrédite les programmes de sciences appliquées et naturelles, d'informatique, d'ingénierie et de technologie d'ingénierie. « Plusieurs études ont montré que seul un petit pourcentage de ce que la plupart des étudiants avaient appris provenait de ces conférences, ces derniers comprennent et retiennent davantage d'informations lorsqu'ils sont pleinement engagés dans le processus d'apprentissage. »

En 2000, ABET a ainsi opté pour des critères d'accréditation basés sur les résultats concrets des ingénieurs étudiants formés dans cette optique. Plutôt que de suivre le nombre de trimestres d'un étudiant dans des cours divers et variés, l'objectif est désormais de garantir que les diplômés puissent appliquer ce qu'ils ont appris. « Le processus d'accréditation de l'organisation a ouvert la voie à une transformation radicale de l'enseignement, et les écoles d'ingénieurs qui l'utilisent forment aujourd'hui des diplômés plus compétents et mieux préparés », affirme M. Milligan.

VALORISER L'EXPÉRIENCE RÉELLE

Dan Walton, diplômé d'un programme d'ingénierie mécanique accrédité par l'université de Warwick en Angleterre, estime que son expérience de projet au niveau universitaire a joué un rôle majeur dans l'obtention d'un emploi rémunéré, immédiatement après l'obtention de son diplôme.


Dan Walton, diplômé de l'université de Warwick, Angleterre (image © Dan Walton)

« Mes expériences post-diplôme m'ont montré qu'un diplômé de haut niveau est évalué sur son approche pragmatique et pratique dans le cadre de la résolution de problèmes », explique M. Walton. « Grâce aux méthodes pratiques d'enseignement à l'université, j'ai eu l'opportunité d'appliquer tout ce que j'avais appris à des exemples concrets. Je travaille maintenant depuis 3 ans au sein de l'entreprise où j'avais effectué un stage de longue durée pendant mes études. »

Grant Saunby, ingénieur de recherche au Manufacturing Technology Centre de Coventry, en Angleterre, qui dispose d'un vaste programme de recrutement de diplômés, approuve le point de vue de Dan Walton. « L'accréditation donne aux entreprises la certitude que les diplômés ont une compréhension fondamentale des concepts d'ingénierie et qu'ils ont été formés selon des critères bien établis, ce qui est particulièrement utile compte tenu du nombre de formations en ingénierie disponibles à présent », explique M. Saunby.

SUIVRE LES PERFORMANCES DE L'ENSEIGNEMENT

La poursuite de l'accréditation basée sur les résultats offre aux universités un moyen simple et impartial de vérifier que leurs méthodes d'enseignement fonctionnent, affirme Elisabeth Crépon, présidente de la Commission des titres d'ingénieur (CTI), l'agence parisienne chargée d'évaluer et d'accréditer les programmes de formation en ingénierie en France. En retour, l'accréditation garantit aux diplômés et aux entreprises que les écoles offrent un enseignement de qualité.

« Nous avons mené trois initiatives « orientées » [une par an entre 2016 et 2019], demandant aux écoles d'ingénieurs de soumettre une analyse de l'impact de leurs méthodes d'enseignement de certains aspects spécifiques de l'ingénierie », explique Mme Crépon. « La plupart des participants ont déclaré avoir accordé la priorité à l'innovation, mais également repensé leurs méthodes d'enseignement et d'évaluation en adoptant des approches centrées sur les étudiants, telles que l'enseignement basé sur les projets. Les normes d'accréditation de l'ICT ont largement contribué à cette évolution positive de l'enseignement de l'ingénierie. »

L'accréditation basée sur les résultats s'est avérée particulièrement efficace. Elle aide ainsi les écoles d'ingénieurs d'économies émergentes, où les méthodes pédagogiques sont parfois à la traîne par rapport à celles des États-Unis et de l'Europe et ne préparent pas assez bien leurs diplômés à une carrière professionnelle en ingénierie. L'enseignement de l'ingénierie en Inde, par exemple, est en pleine transition.

« Les écoles d'ingénierie en Inde se concentrent souvent sur l'obtention de bons résultats d'examen plutôt que sur la recherche de nouvelles façons d'améliorer continuellement leurs méthodes d'enseignement », déclare R. Hariharan, conseiller de niveau 2 du Bureau des politiques et de la planification académique du All India Council for Technical Education (AICTE) qui réglemente l'enseignement technique en Inde.

« Cependant, en s'efforçant de répondre aux critères d'accréditation basés sur les résultats de l'AICTE – et d'obtenir des commentaires de notre part et de celle de l'industrie – nombre d'entre eux ont cherché à expérimenter de nouvelles techniques pour rendre leurs processus d'enseignement plus efficaces et plus attrayants. Cela fonctionne, parce que la qualité de l'enseignement technique et le niveau des diplômés s'améliorent progressivement dans toute l'Inde. Le gouvernement a fixé à toutes les écoles d'ingénierie l'objectif d'obtenir l'accréditation de leurs programmes avant 2022. »

INFORMATIONS DE L'INDUSTRIE

Selon les experts en accréditation, acquérir de l'expérience avec les outils d'ingénierie digitale avancés utilisés par de nombreux employeurs s'inscrit de plus en plus dans la formation pratique des étudiants. À l'heure de la digitalisation, l'industrie de l'ingénierie professionnelle évolue rapidement, obligeant les ingénieurs à développer sans cesse de nouvelles compétences.

ASIIN Group, une agence d'accréditation basée à Düsseldorf, en Allemagne, permet aux écoles d'ingénieurs de suivre le rythme, en impliquant des représentants d'organisations d'ingénierie professionnelle dans le processus d'accréditation, aux côtés des partenaires universitaires.

« L'accréditation, c'est l'occasion idéale pour les écoles d'ingénieurs de demander conseil à leurs pairs universitaires et aux représentants de l'industrie, notamment sur la façon dont elles peuvent améliorer leurs méthodes d'enseignement pour les étudiants et les préparer à entrer sur le marché du travail. »

Aing Wasser, directeur général, ASIIN Group

« Les écoles conçoivent les contenus de leurs propres programmes d'ingénierie, mais notre processus d'accréditation leur permet de demander aux représentants de l'industrie si les diplômés seront suffisamment bien préparés pour une carrière d'ingénieur, une fois leur diplôme en poche », explique Iring Wasser, directeur général d'ASIIN Group. « Il est ainsi beaucoup plus facile pour les écoles d'ingénieurs de faire évoluer régulièrement leur contenu éducatif et leurs méthodes d'enseignement afin de les aligner sur les exigences actuelles et futures du marché du travail. »

Les étudiants travaillent sur des projets externalisés vers leur université par des employeurs de leur région. Ils acquièrent ainsi une expérience de première main, non seulement dans le cadre de projets sur lesquels ils sont susceptibles de travailler s'ils sont embauchés par cet employeur, mais également sur les applications et processus de conception, de simulation et de fabrication qu'ils seront amenés à utiliser.

RÉPONDRE À LA DEMANDE CROISSANTE

Le nombre croissant d'écoles d'ingénieurs – dont l'objectif est, pour la première fois, d'obtenir l'accréditation – témoigne de l'efficacité de ce fonctionnement pour doter les étudiants de compétences qui répondent aux besoins des entreprises du secteur de l'ingénierie.

En Belgique, le réseau européen d'accréditation de la formation des ingénieurs (ENAEE), par exemple, a approuvé 15 agences d'accréditation pour attribuer ses labels EUR-ACE à des écoles d'ingénieurs à travers l'Europe. L'ENAEE a également participé à des projets visant à créer des agences qui utiliseront l'EUR-ACE pour accréditer des programmes en Asie centrale, en Afrique, au Moyen-Orient et en Amérique du Sud.

« En développant un système d'assurance qualité pour l'enseignement de l'ingénierie dans le monde entier, nous améliorerons la qualité de l'enseignement et faciliterons la mobilité universitaire et professionnelle entre les pays », affirme José Carlos Quadrado, vice-président de l'ENAEE.

PROPOSER UNE VISION DU FUTUR

Selon Elisabeth Crépon, deux principales raisons pousseront les ingénieurs à être de plus en plus innovants : le développement de la digitalisation et de l'intelligence artificielle en termes d'applications, ainsi que l'attention croissante portée au développement durable et au changement climatique avec leur lot de défis complexes à relever.

« Les processus d'accréditation seront nécessaires pour aider les écoles d'ingénieurs à améliorer constamment leur mode d'enseignement de l'ingénierie. L'objectif ? Former des diplômés opérationnels, capables de développer des solutions pour répondre à ces défis dès qu'ils entreront sur le marché du travail », affirme-t-elle.

Comme le démontrent les changements dans les méthodes d'enseignement et d'accréditation des programmes, il y aura toujours une marge de progrès possible.

« Nous devons renforcer la collaboration entre les différentes alliances d'accréditation afin d'optimiser les services proposés aux étudiants », affirme M. Wasser. « Nous devons également continuer à former nos experts en accréditation afin d'être sûrs qu'ils posent toujours les bonnes questions et donnent les meilleurs conseils. Notre objectif étant de booster l'innovation dans l'enseignement de l'ingénierie et de former des ingénieurs pour l'avenir, nous pouvons affirmer que nous sommes sur la bonne voie ; la plupart des agences d'accréditation le font d'ailleurs déjà très bien. »

En savoir plus sur les opportunités de formation et d'enseignement de 3DS

Autres resources