Le design moderne évolue : concepteurs et ingénieurs d’aujourd’hui doivent être inspirés pour adapter le monde à une population mondiale qui vieillit rapidement, de manière délicate et personnelle.
Après les bocaux à cornichons faciles à ouvrir pour les mains arthritiques, les parcs accessibles ou les villes qui favorisent l’interaction sociale, de jeunes designers brillants apprennent à regarder les produits, les bâtiments, les réseaux de transport, les réseaux de communication, les espaces ouverts et les structures communautaires du point de vue d’une personne âgée.
Le besoin est grand et il ne cesse de croître. En raison de la baisse des taux de natalité et de l’espérance de vie accrue, le pourcentage mondial des personnes âgées — établi par la plupart des démographes à partir de 65 ans — connaît une hausse spectaculaire. Selon l’Organisation mondiale de la santé, le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans devrait tripler, passant de 524 millions en 2010 à 1,5 milliard d’ici 2050. Les personnes âgées représentent aussi le groupe démographique qui connaît la plus forte croissance à l’échelle mondiale.
SIMULER LA VIEILLESSE
Les experts et les décideurs politiques ont commencé à agir. Par exemple, pour aider à la conception dédiées aux personnes âgées, les ingénieurs de Nissan, Ford et le Massachusetts Institute of Technology (MIT) ont mis au point des « habits du troisième âge » qui simulent les infirmités physiques d’une personne âgée de 85 ans, avec vision trouble, raideurs articulaires et équilibre bancal. Ressentir les effets physiques de l’âge aide les ingénieurs à mieux comprendre les besoins des personnes âgées.
1,5 MILLIARD
L’Organisation mondiale de la santé prévoit que le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans va tripler, passant de 524 millions en 2010 à 1,5 milliard d’ici 2050.
Même les nouvelles technologies reçoivent un traitement conçu pour le troisième âge. Bien que les personnes âgées ont tendance à adopter les nouvelles technologies à un rythme moins rapide que le reste de la population, une évolution se profile. Selon un rapport sur l’utilisation de la technologie chez les seniors réalisé par le groupe de réflexion mondial Pew Research Center, certains segments de ce groupe — en particulier ceux des personnes les plus aisées et les plus instruites — sont plus nombreux à utiliser les technologies digitales que les générations qui les ont précédés.
Ainsi, aux États-Unis, le nombre de possesseurs de smartphones âgés de 65 ans et plus a doublé depuis 2013. Aux Pays-Bas, pas moins de cinq assureurs remboursent les utilisateurs de capteurs intelligents à domicile qui surveillent des indicateurs tels que les changements dans la démarche qui pourraient avertir à l’avance d’une chute. L’assistant digital à commande vocale Echo d’Amazon répond à des questions, appelle des proches, contrôle les appareils ménagers, et va jusqu’à lire les nouvelles. Des services en ligne sur demande livrent les courses, des médicaments et vont chercher devant leur porte des personnes qui resteraient sinon confinées chez elles.
UN DESIGN BASÉ SUR L’EMPATHIE
« Au fil des ans, j’ai appris à me mettre à la place de l’utilisateur pour lequel je développe mes conceptions », explique Sahar Madanat Haddad, fondatrice et chef designer du studio de design Sahar Madanat à Amman, en Jordanie. « Pour cela, il faut d’abord comprendre l’utilisateur, être attentif à ses besoins, exprimés ou non, et étudier sa vie au jour le jour. Cela veut dire tout simplement concevoir avec empathie. Lorsqu’il s’agit de concevoir pour les personnes âgées en particulier, nous remarquons avant tout que la plupart des seniors ne veulent pas utiliser des produits qui ressemblent trop à des appareils d’assistance. »
Son dernier produit, un kit d’intervention d’urgence familial pour pratiquer la réanimation cardiorespiratoire et la défibrillation, ressemble à un élégant édredon enroulé qui est, conformément au concept produit « Simple comme un oreiller et une couverture, et aussi intuitif que lorsque vous bordez quelqu’un ! ».
On voit apparaître des réalisations similaires dans le monde entier. Sha Yao, designer industriel diplômée en langue et civilisation japonaise à l’Université Soochow de Taiwan, a créé un ensemble de couverts anti-déversement pour les patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Les étudiants de l’Université nationale des sciences et technologies d’Islamabad, au Pakistan, ont développé le gant connecté au cloud TAME (Tremor Acquisition and Minimization) qui réprime les tremblements du poignet qui peuvent nuire à l’exécution des activités quotidiennes.
DES VILLES ADAPTÉES AUX SENIORS
Les produits ne sont pas les seuls à subir cette transformation — les environnements de vie sont aussi concernés. Ainsi, en 2016, au Royaume-Uni, le gouvernement et les responsables du NHS ont annoncé des projets de construction de 10 villes entièrement nouvelles comptant 76 000 maisons adaptées aux besoins des personnes âgées dans toute l’Angleterre. Aux Pays-Bas, les résidents du centre révolutionnaire de soins de la démence Hogeweyk vivent dans un village doté de commerces et de parcs conçus avec des motifs architecturaux qui reconstituent des références culturelles diverses, et pourtant familières, à des expériences communes.
Ce même concept est actuellement en cours de test aux États-Unis dans un centre Alzheimer à San Diego, qui reconstitue une place publique des années 50. L’installation a été conçue pour raviver les souvenirs et favoriser les conversations entre les résidents, qui se rappellent leur jeunesse lorsqu’ils se trouvent dans ce cadre soigneusement organisé.
Singapour, qui a l’une des populations vieillissant le plus rapidement au monde, a lancé un programme ambitieux qui est en train de devenir un modèle pour d’autres villes. Le plan global à plusieurs volets comporte plus de 70 initiatives dans une douzaine de secteurs, dont la santé, l’éducation, l’emploi, le bénévolat, la sécurité financière, le logement, les transports, les espaces publics et l’inclusion sociale. De plus, l’initiative porte sur une population multiculturelle parlant quatre langues officielles, dont les citoyens observent un large éventail de fêtes et de traditions issus de différentes cultures.
« Ce qui est intéressant, c’est que les designers sont encouragés à sortir des sentiers battus et à faire preuve de créativité », souligne Ellen Do, professeure de design architectural et industriel à l’Institut de technologie de Géorgie (Georgia Tech). Ellen Do est également codirectrice du Keio-NUS Cute Center (Connective Ubiquitous Technology for Embodiments) de l’Université nationale de Singapour, et a travaillé au Conseil pour le vieillissement actif de Singapour.
« Ils (les designers) avaient l’habitude d’apprendre toutes les techniques et outils - les matériaux, la géométrie, le design bio-inspiré, la durabilité, l’efficacité, la haute technologie, la low-tech, l’impression 3D, la modélisation paramétrique, centrée sur l’humain et ergonomique... »
Mais aujourd’hui, le défi pour ces jeunes designers est de développer de l’empathie pour les personnes âgées afin de créer des outils qui les aident à évoluer dans le monde de façon innovante. « Vous pouvez toujours enseigner aux gens des techniques, et l’utilisation d’outils, mais ce qui compte le plus, c’est de générer des données, d’être capable d’évaluer, de réfléchir, de comprendre les utilisateurs et de se mettre à leur place. »