Le gaz de schiste est en plein essor aux États-Unis, où plus de 2 millions de puits ont été forés depuis 2007. La multiplication de ces gisements a déjà réduit les factures d’énergie des américains, trois fois moins chères qu’en Europe et quatre fois moins chères qu’au Japon.
Les partisans estiment que le développement du gaz de schiste pourrait quintupler les réserves de gaz mondiales. Mais les experts mettent en garde contre les méthodes d’extraction qui pourraient écourter leur durée de vie.
En septembre 2013, une étude de l’université de Stanford jugeait « marginal » l’effet du gaz de schiste à terme sur la croissance américaine. En février 2014, un rapport d’experts français de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) prônait une attitude « agnostique » pour contenir un emballement jugé irraisonné.
LA RUÉE VERS L’OR ?
Derrière les projections à donner le vertige, l’économie du schiste ressemble en réalité à une ruée vers l’or aussi massive qu’incertaine. Le boom du gaz de schiste cache une multitude de petits exploitants portés par des investisseurs aux logiques souvent spéculatives. En moyenne, 80% des ressources sorties de terre sont épuisées au bout de deux ans. Les investissements se concentrent sur les coûts d’infrastructures au détriment de l’innovation des techniques d’exploration ou de forage. La fracturation hydraulique employée pour déloger le gaz des roches n’a guère évolué depuis les premiers essais du pionnier du genre en 1991, l’ingénieur américain George Mitchell.
« C’est un exercice plus délicat qu’il n’y parait car il faut forer sur des zones parfois étendues sur plusieurs kilomètres de long et logées sous 30 ou 40 couches de roches », explique Atanu Basu, créateur d’Ayata, basé au Texas (USA), l’une des rares start-up à proposer des solutions innovantes aux exploitants pour analyser les couches de roches souterraines avant le forage. « La plupart des fracturations manquent leur cible. Actuellement, on estime que 80% de la production du gaz de schiste en Amérique du Nord proviennent d’à peine 20% des fracturations effectuées. »
« Le modèle d’exploitation actuel aux USA repose en grande partie sur un contexte très favorable avec des prix bas, de grands espaces où forer et une réglementation conciliante », explique Catherine Gautier, professeur de géographie à l’université de Californie aux États-Unis et co-auteur de l’ouvrage Gaz de schiste : nouvel eldorado ou impasse ? « Ces atouts contribuent au succès mais sont spécifiques au pays. » La difficulté d’exporter ce modèle est illustrée par la Pologne – l’un des pays d’Europe les mieux pourvus en la matière – où le groupe pétrolier Total a mis fin à ses projets d’exploitation.
À LA RECHERCHE DE TECHNOLOGIES PLUS SURES
Les opposants à la fracturation dénoncent la pollution des sols provoquée par les solvants utilisés par cette méthode et le réchauffement climatique lié aux fuites de méthane. « Des fuites de 4% à 5% sur l’ensemble du cycle rendraient l’exploitation de ce gaz aussi nocive que celle du charbon », explique C. Gautier. « Or selon certaines études, les émissions fugitives sur le cycle de vie complet d’un puits se monteraient aujourd’hui déjà entre 3,6% et 7,9%. »
Les alternatives à la fracturation hydraulique existent, sans pour autant convaincre pour l’heure : l’emploi du fluropropane suscite la polémique, les fracturations thermiques ou électriques restent au stade d’expérimentations de laboratoire.
« Si l’on veut inscrire le gaz de schiste comme un pivot durable des mix énergétiques, il faut développer des solutions technologiques plus fiables et respectueuses de l’environnement », souligne Jean-Louis Fellous, physicien de l’atmosphère et co-auteur de l’ouvrage de C. Gautier. L’enjeu est de valoriser une dynamique globale et mondiale de recherche autour du gaz de schiste en combinant les efforts des puissances publiques et des industriels. « Aujourd’hui, l’exploitation est une donnée massive alors même que les travaux universitaires manquent de financement », confirme J-L. Fellous.
La réglementation est un autre levier clé pour mobiliser les industriels. « La réglementation est trop coercitive à leur égard », affirme Thierry Bros, analyste à la Société Générale, spécialiste du gaz européen et du GNL (Gaz Naturel Liquéfié), et auteur de After the US Shale Gas Revolution. « Elle devrait valoriser la transparence et une meilleure maîtrise des processus d’extraction. Si l’Europe s’y engage, elle pourra promouvoir un vrai modèle alternatif de production du gaz de schiste et en exporter ses compétences vers d’autres marchés. » Les profits ne se feront plus seulement sur la promesse d’une énergie bon marché, mais aussi sur le savoir-faire lié à sa production. Le gaz de schiste aura alors engagé véritablement sa révolution technologique. ◆
Qu’il s’agisse de gaz ou de pétrole de schiste, les technologies 3D accompagnent de plus en plus l’exploitation des sources d’énergies non conventionnelles. Par exemple, la localisation des précieux gaz et huiles de pétrole suppose d’affiner les connaissances sur la géologie des sous-sols. À tous les stades, simulations 3D et représentations multidimensionnelles permettent d’améliorer les connaissances et de prévenir les dangers. « L’industrie du pétrole et du gaz a utilisé la technologie 3D voire 4D dans l’exploration des ressources », déclare Jill Feblowitz, vice-président, IDC Energy Insights pour le pétrole, le gaz et les procédés. « L’industrie du pétrole et du gaz recherche de nouveaux moyens où les technologies de traitement et de simulation de réservoir sismiques peuvent être appliquées au forage et à l’extraction du gaz de schiste, du pétrole et autres ressources non conventionnelles. L’intérêt est la visualisation du forage dans la structure de la roche et la simulation de l’impact de la fracturation hydraulique sur la nappe phréatique. En fin de compte, les entreprises et les gouvernements ouverts aux énergies non conventionnelles veulent rationaliser la production tout en minimisant les risques environnementaux et de sécurité. » De plus en plus employées par les compagnies pétrolières, ces simulations 3D sont également sollicitées par les gouvernements des pays qui s’ouvrent à l’exploitation de ces énergies non conventionnelles. Un défi que la puissance de calcul des ordinateurs et programmes de simulation permet de relever avec une précision accrue.TECHNOLOGIES 3D : SÉCURISER LES NOUVELLES ÉNERGIES
Régis de Closets est un journaliste français spécialisé dans le domaine scientifique et expert en presse économique. Il réalise de nombreux reportages et documentaires pour la télévision française et rédige des articles entre autres pour Le Figaro, Le Nouvel Economiste, et Outlook, une revue internationale de management.