Quand Ditiro Setlhaolo était étudiante en première année d'ingénierie des télécommunications à l'Université du Botswana, un chargé de cours aux préjugés sur les femmes ingénieurs lui a presque fait abandonner le domaine. Au lieu de se laisser abattre, elle s'est orientée vers l'ingénierie électrique. Aujourd'hui, elle est consultante en gestion de la demande en énergie et professeure de génie électrique à l'Université du Botswana, et s'emploie à inspirer et soutenir d'autres femmes dans l'ingénierie.
« Les filles ne devraient pas croire ceux qui disent que les femmes ne sont pas intelligentes, parce que je suis la preuve que les femmes peuvent aller loin », a déclaré Ditiro Setlhaolo devant l'organisation African Women in Science and Engineering (AWSE) basée au Nigeria en 2016.
En dépit de ces réussites, les préjugés sexistes, le manque de modèles et les messages négatifs au sujet des « facultés intellectuelles » des femmes par rapport aux hommes continuent de limiter le nombre de femmes ingénieurs dans le monde entier. L'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) estime que les femmes — plus de la moitié de la population mondiale — occupent au plus 20 % des emplois d'ingénieurs dans le monde. Selon l'Union européenne (UE) les femmes scientifiques et les ingénieures ne représentaient que 2,8 % de la population active des 28 pays de l'UE en 2013, contre 4,1 % pour les hommes.
Les taux d'obtention du diplôme ne changeront pas ces chiffres dans un avenir proche : l'American Society for Engineering Education déplore que seulement 21,4 % des étudiants de premier cycle en 2014 étaient des femmes ; dans l'UE, 19 % des licences en sciences et ingénierie ont été décernées à des femmes entre 2014 et 2015.
Mais les enseignants en ingénierie travaillent pour renverser cette tendance.
« Le travail que font les ingénieurs façonne l'avenir de notre monde et de notre société à bien des égards », affirme Beth Holloway, vice-doyenne de l'ingénierie pour l'enseignement de premier cycle et directrice du programme Women in Engineering (WIEP) à l'Université Purdue de l'Indiana. « Il est difficile d'admettre que toutes les idées les plus créatives et innovantes pour l'avenir viendront d'une seule moitié de la population mondiale : les hommes. La diversité des points de vue est essentielle pour optimiser pleinement les solutions, trouver de nouvelles façons d'aborder un problème, envisager les conséquences négatives imprévues d'une solution ou d'une conception, et bien comprendre les besoins et désirs les plus divers des clients. »
SURMONTER LES OBSTACLES
Selon Beth Holloway, le recrutement des femmes dans l'ingénierie est un défi qui doit être relevé avant, pendant et après leur entrée à l'université.
« Nous travaillons avec les lycéens pour essayer d'éveiller en eux et d'entretenir leur l'intérêt pour l'ingénierie, de leur montrer des modèles positifs et de combattre les stéréotypes négatifs sur les ingénieurs et l'ingénierie », explique-t-elle. « Pour nos étudiants, le WIEP offre la possibilité d'interagir avec des mentors et des modèles et de créer une communauté de soutien avec des pairs et des professionnels. Nous parlons de l'influence que peut avoir le genre au travail et discutons des stratégies et des approches pour réduire certains de ces obstacles.
Nous avons également travaillé sur l'amélioration du climat à la faculté d'ingénierie pour le rendre plus inclusif et plus accueillant pour tous les étudiants. À toutes les étapes de notre travail, nous utilisons des stratégies qui se sont avérées efficaces grâce à la recherche, et nous contribuons à la documentation en menant nos propres recherches. »
TRIPLE HAIES
Une étude de l'Université de Washington (UW) publiée en 2016 a identifié trois principaux facteurs qui dissuadent les femmes : une culture masculine qui insinue — accidentellement ou intentionnellement — que les femmes ne sont pas à leur place ; une sensibilisation insuffisante à la matière avant l'université ; et les écarts entre les hommes et les femmes en termes d'opinions sur les capacités innées.
« Les étudiants fondent leurs décisions éducatives en grande partie sur la perception qu'ils ont du domaine », souligne Sapna Cheryan, auteure principale du rapport et professeure associée de psychologie à l'UW, sur le site UW Today. « Faute d'une première expérience dans un domaine, ils se basent sur leurs stéréotypes pour juger de qui est doué ou non pour s'y engager. »
« Quand malgré tout une femme choisit de faire des études d'ingénierie au niveau universitaire, et qu'elle découvre qu'elle est la seule étudiante du cours, cela peut la rebuter, d'autant que c'est un scénario qui va se répéter lorsqu'elle obtiendra son diplôme et rejoindra une équipe dans un bureau d'étude », explique Nilanjana Dasgupta, professeure au département de psychologie et des sciences du cerveau à l'Université du Massachusetts à Amherst.
« C'est le sentiment d'appartenance qui détermine si vous allez vous accrocher dans un domaine qui vous intéresse », a-t-elle déclaré devant la National Science Foundation, l'organisme financé par le gouvernement américain qui a soutenu ses recherches. « Soit vous ressentez de la camaraderie et du réconfort, soit vous commencez à être moins intéressée, moins confiante, et vous commencez à envisager d'étudier dans un autre domaine. »
Selon Beth Hollowaty, il est donc aussi essentiel de mobiliser des hommes en faveur de cette cause que d'encourager les femmes :
« Beaucoup d'hommes ne sont pas pleinement conscients ou ne comprennent pas bien les difficultés que vivent les femmes dans l'ingénierie, mais ils pourraient devenir nos alliés et défendre l'égalité des sexes si c'était le cas. Il faut que nous puissions avoir des conversations ouvertes et honnêtes au sujet des préjugés inconscients et que nous travaillions ensemble pour créer des organisations inclusives où tout le monde a un sentiment d'appartenance et se sent valorisé. »
Rehema Ndeda, membre de l'AWSE, souligne que la profession doit également s'attaquer à des stéréotypes tels que « l'image poussiéreuse de l'ingénierie, avec ses usines sans âme, qui est peu attrayante pour des jeunes femmes. »
Ditiro Setlhaolo l'approuve. Quand elle va parler à des élèves, les filles lui demandent toujours si les femmes ingénieurs doivent porter une combinaison et si c'est un métier salissant. « La société n'a pas une vision claire de ce qu'est l'ingénierie et de ses différentes branches », constate-t-elle.
DES ESPRITS INSPIRANTS
Les modèles sont essentiels dans la lutte contre les stéréotypes et pour communiquer non seulement sur ce que les femmes peuvent réaliser dans l'ingénierie, mais aussi sur ce que ce domaine peut leur apporter.
« L'ingénierie est une profession si diversifiée qu'on peut l'adapter aux attentes des différentes périodes de sa vie », déclare Anne-Marie Jolly, vice-présidente de la Commission des titres d'ingénieur (CTI), une organisation basée en France centrée sur la science et l'ingénierie, et fondatrice d'Ingénieur au féminin, qui soutient les actions visant à encourager et motiver les femmes dans le domaine de l'ingénierie. « C'est rare une profession où, avec la même éducation, vous pouvez travailler à l'étranger ou à votre domicile, faire de la recherche ou vous lancer dans la gestion de production. »
Sans modèles pour leur montrer le chemin, peu de femmes pensent à devenir ingénieures.
« Le fait que la plupart des filles s'orientent vers des branches de l'ingénierie où il y a déjà beaucoup de femmes [59 % dans les écoles de génie chimique et agricole] et pas vers des branches où elles seraient payées autant que les hommes et où les entreprises les attendent [15 % dans les systèmes de transport, 17 % dans l'informatique et 19 % dans l'électronique] est symptomatique », précise Anne-Marie.
Elle travaille avec deux associations – l'association Française des Femmes Ingénieurs, et Femmes & Sciences – pour faire bouger les choses en intervenant dans les collèges et les lycées, offrant peut-être aux jeunes filles leur premier contact avec une femme ingénieur.
« J'explique ce qu'est l'ingénierie et les satisfactions que ce domaine m'a apportées, et je suis accompagnée par de jeunes ingénieures ou étudiantes en ingénierie de l'association Femmes Ingénieurs ou de l'association Femmes et sciences », explique Anne-Marie Jolly. « Si les entreprises veulent davantage de mixité au sein de leurs équipes — et il a été prouvé que la combinaison des sexes augmente l'efficacité — une demi-journée consacrée à la visite des étudiants peut avoir un effet décisif. »
ENTRETENIR LA DIVERSITÉ
Partout en Allemagne, les universités et les départements d'ingénierie proposent régulièrement des programmes de motivation pour les femmes intéressées par l'ingénierie, ce qui permet aux étudiantes de rencontrer des femmes ingénieurs des universités.
« Des universités de toute l'Allemagne organisent des programmes d'été, du mentorat, des journées de l'étudiante, et d'autres activités pour attirer les jeunes femmes », explique Susanne Ihsen, professeure en études de genre dans les sciences et l'ingénierie à l'Université Technique de Munich (TUM). « Il y a aussi beaucoup d'activités, comme l'intervention de modèles féminins du secteur, pour encourager les étudiantes à persévérer dans les programmes. »
Mais selon Susanna Ihsen, il n'y a pas que les étudiantes qui doivent changer d'attitude. Les enseignants aussi, comme le chargé de cours de première année de Ditiro Setlhaolo, doivent revoir leur manière d'enseigner l'ingénierie.
« Les activités en coopération avec d'autres disciplines se concentrent sur les problématiques d'évolution des cultures traditionnelles, dominées par les hommes, comme l'ingénierie », précise Susanne Ihsen. « Elles permettent de sensibiliser les professeurs d'ingénierie aux besoins des genres et de la diversité afin qu'ils puissent enseigner en tenant compte des préjugés, entreprendre des activités marketing axées sur la diversité, etc. Dans mon propre enseignement, j'aborde des sujets qui intéresseront les futures ingénieures, tels que l'Ingénierie 4.0, qui traite des changements dans l'industrie et la société et des attentes des employeurs, des clients et des citoyens. »
LE MENTORAT QUI MÈNE À LA RÉUSSITE
En Afrique, des barrières culturelles supplémentaires compliquent encore le défi d'attirer les femmes vers l'ingénierie. Au Botswana, par exemple, moins de 2 % des étudiants en ingénierie à l'université sont des femmes.
« Pour des motifs économiques, chaque fois que les financements sont limités, c'est le garçon qui sera choisi pour faire des études scientifiques, car on part du principe que la fille échouera probablement », indique Rehema Ndeda de l'AWSE. « D'autres obstacles sont liés à l'attitude — les filles se croient normalement plus faibles que les garçons dans les matières scientifiques et mathématiques. Ces obstacles doivent être levés afin d'encourager plus de femmes à poursuivre des études d'ingénierie. »
Les modèles féminins et le mentorat sont essentiels pour aider l'AWSE dans son action.
« Le projet mwalimu (« enseignant » en swahili), mené dans plusieurs écoles secondaires de Nairobi, vise à montrer aux enseignantes comment enseigner la science aux filles et les encourager dans cette voie puisqu'elles sont les premiers modèles féminins dans le domaine », explique Rehema Ndeda. « Grâce à ce projet, davantage d'étudiantes ont obtenu des résultats satisfaisants en mathématiques et en sciences [et] ont eu l'opportunité d'entamer des études d'ingénierie. »
Le mentorat est un facteur critique, et ce même après l'entrée dans le monde du travail.
« Il est apparu de plus en plus évident que la présence d'un mentor sur le lieu de travail tend à encourager les femmes à poursuivre dans ces carrières et même à devenir des leaders dans leur domaine », précise Rehema Ndeda. « Récemment, nous avons collaboré sur des mentorats avec l'Université Kenyatta dans le cadre de son Programme de mise en valeur des femmes dans la science et la technologie (KUFEST). La plupart des scientifiques encadrées par un mentor travaillent actuellement dans l'ingénierie et sont motivées pour poursuivre leur carrière dans cette branche. »
20%
L'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) estime que les femmes — plus de la moitié de la population mondiale — occupent au plus 20 % des emplois d'ingénieurs dans le monde.
Chaque pays fait face à ses propres défis pour encourager et soutenir les femmes dans l'ingénierie, mais des efforts concertés pour les aider à comprendre que le succès est possible et que les employeurs ont besoin de leurs idées commencent à avoir un écho. Avec du soutien et des modèles inspirants, davantage de femmes acquerront la confiance nécessaire pour rejoindre Ditiro Setlhaolo dans son action contre le découragement et pour apporter une contribution positive à l'ingénierie. ◆