Depuis plusieurs dizaine d'années, l'industrie aéronautique rêve de fabrication additive, une technique de fabrication de pièces par ajout de couches successives de matière. Aujourd'hui, la fabrication additive – également connue sous le nom d'impression 3D – est majoritairement utilisée pour le prototypage rapide de pièces et ce, à des fins d'évaluation et de test. Dans une industrie qui accorde une importance toute particulière à la sécurité, les pièces de fabrication additive sont très peu utilisées sur le terrain et notamment pour les avions qui transportent chaque jour plusieurs milliers de personnes.
La bonne nouvelle, c’est que les lignes sont en train de bouger. Les compagnies aériennes et les entreprises tierces de maintenance, de réparation et d'entretien d'équipements aéronautiques (MRO) aimeraient par exemple fabriquer leurs propres pièces et composants de rechange en fonction de leurs besoins, plutôt que de faire appel à des fabricants OEM pour concevoir et construire leurs avions. Nombreux sont les fournisseurs de services MRO qui ont décidé d'exploiter le potentiel de la fabrication additive en l'appliquant au marché de l'après-vente, notamment pour les pièces n'ayant aucune incidence sur la sécurité.
Prenons l'exemple d'Emirates Engineering, la branche technique d'Emirates Airlines basée à Dubaï, qui s'est associée à 3D Systems, l'un des principaux fournisseurs d'équipements imprimés en 3D, afin de produire un carénage de moniteur vidéo et une grille d'aération à utiliser à l'intérieur de ses cabines d'avion. D'après les experts, ces petites avancées permettront de démocratiser l'utilisation de l'impression 3D pour les pièces aéronautiques.
« Petit à petit, vous verrez que l'impression 3D offrira une véritable liberté de conception et transformera la fabrication dans l'industrie aéronautique. »
Klaus Mueller
AeroDynamic Advisory
« De manière générale, l'industrie fabrique seulement entre 1 et 1,5 % de ses pièces grâce à l'impression 3D, alors qu'elle pourrait en utiliser au moins 30 % dans le cadre de ses avions commerciaux », déclare Klaus Mueller, conseiller principal d'AeroDynamic Advisory, un cabinet de conseil en stratégie, spécialisé dans l'aviation et l'aéronautique. Klaus Mueller est également consultant senior pour Bionic Production AG et Fraunhofer IAPT, deux des principaux instituts de fabrication additive en Allemagne.
Nouvelles technologies : la prudence est de mise
Par définition, l'industrie aéronautique est prudente. Chaque nouvelle technologie subit des tests exhaustifs avant d'être adoptée ; la priorité numéro un étant d’aider les clients à garantir la sécurité de leurs passagers.
Des entreprises ont réussi à imprimer des composants non essentiels en 3D, mais les volumes restent relativement faibles. « L'impression 3D en est encore à ses balbutiements et ce, tout au long de la chaîne d'approvisionnement des moteurs et cellules d'avion », déclare John Schmidt, à la tête du cabinet de conseil international spécialisé dans l'aéronautique et la défense d'Accenture.
L'entreprise Bell Helicopter – qui utilise la fabrication additive depuis 2006 pour produire des pièces – peut attester du potentiel et des limites de l'impression 3D. L'entreprise mise sur la fabrication additive pour la production d'environ 200 pièces, principalement en nylon fritté au laser.
« Grâce à l'équipe, nous avons réalisé de réels progrès en termes de fabrication additive, mais nous sommes encore loin de la production de masse », déclare Justin Rivera, spécialiste en ingénierie pour le service Manufacturing Technology de Bell Helicopter. « L'ironie de la situation ? L'industrie aéronautique est le secteur dans lequel les ingénieurs et les chercheurs repoussent régulièrement les limites de la technologie », déclare John Schmidt d'Accenture.
Des défis à relever
Qu'ils soient d’ordre réglementaire, culturel, technique ou économique, nombreux sont les obstacles qui freinent aujourd'hui les progrès de l'industrie aéronautique en matière de fabrication additive.
« Malgré tout son potentiel, le fonctionnement est le même pour l'impression 3D que pour toute autre technologie de fabrication. Elle doit être rentable et malheureusement, la fabrication additive n'est pas encore prête pour la production de composants en série et ce, à un prix abordable », explique Klaus Mueller.
« C'est une question purement économique », ajoute John Schmidt. « Cela devient intéressant à partir du moment où il est possible d'améliorer le coût de possession total en réduisant le poids ou en démontrant la capacité de produire une pièce complexe qui ne pourrait être fabriquée autrement. »
Cela est d'autant plus vrai lorsque l'on prend en compte le temps et le coût nécessaires pour certifier de nouveau un composant imprimé en 3D. L'objectif étant de garantir qu'il répond aux mêmes normes de contrôle de qualité que la pièce de fabrication conventionnelle qu'il est censé remplacer.
« Pour compliquer les choses, l'industrie a développé très peu de normes en matière de qualité et de fiabilité pour les pièces imprimées en 3D », déclare Scott Killian, directeur du développement, Aerospace, chez EOS, qui fournit des machines, des matériaux et des services en fabrication additive par frittage au laser de métaux et polymères. D'après Glenn McDonald, directeur chez AeroDynamic Advisory, la certification des composants par la Federal Aviation Administration (FAA) peut prendre jusqu'à deux ans.
« Le processus est long et laborieux », affirme Tom Kurfess, directeur de la fabrication au Oak Ridge National Laboratory (ORNL), un centre de recherche et de développement financé par les autorités publiques, qui travaille en étroite collaboration avec plusieurs industries pour optimiser la fabrication additive. « Les fabricants doivent être en mesure de certifier les pièces imprimées en 3D en se basant sur un processus systématique, capable de garantir de manière fiable et constante la qualité attendue par les concepteurs. Tout cela, à un coût qui avantage l'impression 3D par rapport aux autres processus. Ce serait le Saint Graal », déclare-t-il.
Représentation d'un assemblage aéronautique léger optimisé pour la fabrication additive. (Image © Conception générative basée sur les fonctions avec CATIA)
D'après Tom Kurfess, le principal défi que la fabrication additive doit relever réside dans sa capacité à produire de manière constante des pièces fiables. Nous observons par exemple des différences de production pour une même pièce et ce, malgré des paramètres identiques. La liste des facteurs qui peuvent avoir un impact sur la qualité d'une pièce finale est longue. Elle comprend entre autres l'orientation de la pièce par rapport à la plate-forme de fabrication, l'étalonnage de la machine, la qualité des matériaux et la manière dont la pièce est retirée.
« Il est essentiel de définir et de vérifier l'ensemble des variables du processus afin de réussir à chaque fois l'impression, ce qui n'est pas une mince affaire », ajoute Tom Kurfess.
Pour Laura Ely, ancienne responsable des initiatives en matière de fabrication additive pour GKN Aerospace et désormais conseillère industrielle au sein du groupe Barnes, fabricant de produits d'ingénierie, une autre problématique subsiste : les machines utilisées pour l'impression 3D ne répondent généralement pas aux attentes des utilisateurs. « Lorsque vous investissez dans une machine CNC standard (commande digitale), vous vous attendez à ce qu'elle implique très peu de réglages », affirme-t-elle. « Aujourd'hui, ce n'est pas le cas des machines d'impression 3D. En raison de leur niveau de maturité actuel, elles ont tendance à nécessiter de nombreux ajustements. »
La formation d'opérateurs en fabrication additive est un autre défi étroitement lié que nous devons relever, car le nombre de programmes certifiants est actuellement insuffisant. Quant aux opérateurs disponibles, ils seraient moins de 1 000 ; ce chiffre pouvant s'élever jusqu'à 3 000 selon les estimations les plus optimistes. Cet écart s'explique en grande partie par la façon dont nous définissons un opérateur pleinement qualifié, car la fabrication additive implique la maîtrise de plusieurs disciplines.
Les groupes professionnels s'accordent sur un point : nous faisons face à une véritable pénurie de talents dans le domaine de l'impression 3D et le rythme auquel les opérateurs arrivent sur le marché ne suivra bientôt plus le rythme de la demande. D'après de nombreuses organisations comme la Society of Manufacturing Engineers et la Chambre de commerce des États-Unis, les fabricants éprouvent des difficultés à trouver les travailleurs qualifiés dont ils ont besoin et ce, malgré l'augmentation de programmes de formation proposés par l'industrie et le gouvernement.
En Europe, à la suite d'une étude menée récemment sur la formation de collaborateurs en fabrication additive, le consortium « Skills Strategy in Additive Manufacturing » (SAM) a conclu à une inquiétante pénurie de main-d'œuvre. L'objectif du projet SAM est de rassembler les informations nécessaires pour développer rapidement des programmes de formation personnalisés. Il sera ensuite essentiel de former les concepteurs de produits à penser « fabrication additive » dès la conception de leurs produits, afin de garantir qu'ils puissent être fabriqués et obtenir un certificat de navigabilité.
Compte tenu de tous ces défis, l'on pourrait croire que l'avenir de la fabrication additive dans l'industrie aéronautique ne sera pas aussi prometteur que nous l'aurions espéré. Mais les experts ne sont pas de cet avis.
Un avenir prometteur
Pour John Schmidt d'Accenture, Airbus et Boeing prévoient de lancer des programmes d'avions commerciaux de nouvelle génération qui devraient considérablement booster la croissance de la fabrication additive et ce, bien que les deux entreprises concurrentes n'investissent pas les quelques milliards de dollars en jeu ici avant 2025 voire 2030. La raison à cela ? La pandémie mondiale a mis le transport aérien à rude épreuve, obligeant les compagnies aériennes en difficulté financière à reporter leurs plans de modernisation de leur flotte.
Avant que les fabricants OEM n'annoncent officiellement le lancement et la mise en production d'avions de nouvelle génération, il est essentiel que la demande en transport aérien reprenne. Pour les différents acteurs de l'industrie, il n'est pas question ici de savoir si cela arrivera, mais plutôt quand. À partir de quand de nombreuses opportunités se présenteront pour que les fournisseurs d'équipements d'avions commerciaux puissent exploiter le potentiel de l'impression 3D ?
De solides perspectives
Pour Klaus Mueller, il est évident que la fabrication additive offrent des avantages non négligeables et qu'elle est capable de soutenir l'industrie aéronautique commerciale à grande échelle. C'est d'ailleurs déjà le cas actuellement pour les secteurs spatial et automobile.
La fabrication additive évolue rapidement afin de répondre à des exigences de plus en plus élevées, avec par exemple l'impression 3D de chambres de combustion haute performance, de composants structurels plus légers ou encore de satellites.
« Par rapport aux processus de fabrication conventionnels, l'impression 3D permet de créer des solutions innovantes tout en réduisant le nombre de pièces et les coûts de production. »
Justin Rivera
Bell Helicopter
« Bien que l'impression 3D n'en soit encore qu'à ses balbutiements en matière d'utilisation et de certification pour les avions en service à l'échelle mondiale, elle permet de créer des solutions innovantes tout en réduisant le nombre de pièces et les coûts de production, par rapport aux processus de fabrication conventionnels », déclare Justin Rivera de Bell Helicopter.
La fabrication additive ne cesse d'innover avec la mise au point de nouvelles avancées comme des évents ignifuges, des supports de caméra et des boîtiers pour les véhicules Mars Rover. Alors que la fabrication additive continue d'évoluer, les fabricants et les autorités réglementaires travaillent de concert pour relever les défis majeurs de l'impression 3D.
« Ce que tout le monde doit comprendre, c'est que l'impression 3D est sous-estimée et sous-exploitée au sein de l'industrie aéronautique. Elle a donc un potentiel de croissance considérable », conclut John Schmidt. « Avec le lancement de plates-formes de nouvelle génération par les fabricants OEM, la fabrication additive connaîtra un véritable essor. »
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