Pour la première fois de l'histoire, plus de 30 % des postes de direction dans le monde sont occupés par des femmes. C'est ce qu'a constaté le cabinet de services aux professionnels Grant Thornton International dans une étude en 2021.
Cette proportion, qui plafonnait à 29 % en 2019 et en 2020, est au mieux un petit pas dans la bonne direction. En réalité, selon le Forum économique mondial, à ce rythme-là, il faudrait 135 ans pour combler les inégalités hommes-femmes. En effet, la pandémie a repoussé d'environ 36 ans la lutte en faveur de la parité. Concrètement, cela signifie qu'une génération supplémentaire ne connaîtra pas l'égalité des sexes.
Les experts s'accordent à dire qu'il n'a jamais été aussi important pour les entreprises de prendre des mesures pour combler l'écart. Pour Saadia Zahidi, directrice générale du Forum économique mondial, si nous voulons une économie dynamique à l'avenir, il est indispensable que les femmes soient représentées dans les métiers de demain. « Aujourd'hui, plus que jamais, il est crucial que les dirigeants accordent une attention toute particulière au sujet, qu'ils s'engagent sur des objectifs fermes et qu'ils mobilisent les ressources nécessaires », affirme-t-elle dans un communiqué de presse. « Il est grand temps d’intégrer la parité hommes-femmes à l'agenda des entreprises et ce, dès les premiers signes de reprise [après la pandémie]. »
Francesca Lagerberg, responsable mondiale des capacités de réseaux chez Grant Thornton International, est convaincue que pour parvenir à valoriser les femmes dans les entreprises, celles-ci doivent l'inscrire au cœur de leur activité. « Permettre à chacun d'atteindre son plein potentiel dans une entreprise demande un engagement permanent », insiste-t-elle. « Concrètement, il ne s'agit pas juste de cocher des cases. Tout changement de comportement prend du temps. »
Dans de nombreuses entreprises, la création de réseaux d'initiative de femmes (WINs, Women’s initiative networks) s'avère être un moyen efficace pour faire de l'égalité des sexes une priorité.
« En fournissant un environnement et un tutorat structurés, ces réseaux permettent aux femmes d'aborder dans un cadre de confiance les problèmes qu'elles rencontrent sur leur lieu de travail, mais aussi de puiser leur inspiration et leur motivation auprès de modèles », affirme Debbie Forster, PDG du collectif industriel britannique Tech Talent Charter. « Outre l'impact positif direct sur leurs membres, ces réseaux ont aussi l'avantage indirect de créer une culture d'entreprise dans laquelle chacun se sent reconnu et encouragé à mettre tout son potentiel au service de l'entreprise. »
TRAVAILLER MAIN DANS LA MAIN AVEC LES HOMMES
Pour que leur impact soit maximal, ces réseaux doivent être aussi inclusifs que le lieu de travail qu'ils souhaitent inspirer. En d'autres termes, ils doivent impliquer les hommes en tant qu'alliés, soutiens et porte-drapeaux.
« Les inégalités entre les sexes ne concernent pas uniquement les femmes », sourit Debbie Forster. « Le manque de diversité des talents affecte tout le monde, les hommes y compris. Ces derniers ont leur rôle à jouer pour soutenir ces réseaux de femmes. Ils font partie intégrante des structures, politiques et pratiques nécessaires pour changer la culture d'une entreprise, et sont bien placés pour convaincre ceux qui ne mesurent pas encore l'importance de l'égalité hommes-femmes. »
Le but ici n'est pas d'attirer le plus de femmes possible dans un groupe de réseautage, mais de montrer que les performances d'équipes mixtes équilibrées sont supérieures aux autres.
Mia Mends
Directrice mondiale de la diversité, de l'équité et de l'inclusion chez Sodexo
Mia Mends, directrice mondiale de la diversité, de l'équité et de l'inclusion pour la société française de services de restauration et de gestion des installations Sodexo, confirme : « Ce n'est pas un hasard si le nom du Conseil consultatif mondial de Sodexo n'est pas sexué. Le but n'est pas d'attirer le plus de femmes possible dans un groupe de réseautage, mais de montrer que les performances d'équipes mixtes équilibrées sont supérieures aux autres. À l'échelle de Sodexo, la mixité des équipes nous permet d'être plus performants et d'améliorer la culture d'entreprise. Et tout le monde est gagnant : nos collaborateurs, nos clients, les consommateurs, les fournisseurs, les partenaires, les communautés dans lesquelles nous opérons et, bien sûr, nos actionnaires. »
Debbie Forster explique que les réseaux efficaces bénéficient à tous les collaborateurs et collaboratrices, d'où une culture d'entreprise plus transparente et plus authentique. « Il ne s'agit pas de séparer les uns des autres, comme certains le craignent. Bien au contraire. Les réseaux favorisent une meilleure appréhension des problèmes et encouragent chacun à trouver des solutions. Alliés et porte-drapeaux se sentent ainsi confortés dans leur rôle et mieux armés pour valoriser la différence. Ces actions fonctionnent d'autant mieux qu'elles sont à l'initiative des collaborateurs et collaboratrices, mais elles ne valent rien sans le soutien clair et affirmé de la direction. »
RELEVER DES DÉFIS MAJEURS
Les entreprises peuvent se servir des réseaux d'initiative comme d'un moyen pour combler leurs plus grands manquements en matière d'égalité entre les sexes et ce, en interne comme en externe.
Parmi les facteurs externes, le Forum économique mondial cite « la double charge entre travail et responsabilités à la maison ». « La plupart des responsabilités et des coûts induits par la garde des enfants, les soins aux personnes âgées et même la garderie incombent de manière disproportionnée aux femmes, et sont difficilement conciliables avec des horaires de travail classiques », souligne Debbie Forster. « Les entreprises doivent avant tout assouplir leurs conditions de travail pour améliorer la rétention de collaboratrices talentueuses et cela passe par une redéfinition et une plus large acceptation de la flexibilité au travail : temps partiel, télétravail et partage des rôles. »
Quant aux facteurs internes, il s'agit par exemple de la ségrégation professionnelle, des stéréotypes et des préjugés inconscients. « Si 30 % des postes de direction dans le monde sont occupés par des femmes, ce qu'il faut retenir, c'est surtout que 70 % sont occupés par des hommes », rappelle Debbie Forster. « Dans la plupart des secteurs, peu de femmes sont cadres supérieurs. Les préjugés persistent en raison d'un manque de diversité au sein des entreprises et il peut être plus difficile pour les femmes de s'imaginer être appréciées et considérées comme performantes à ces postes. »
BIEN FAIRE DÈS LA CONCEPTION
Les bons réseaux WINs sont capables de relever ces défis et obtiennent des résultats impressionnants.
Sodexo, par exemple, a mis en place un Conseil consultatif mondial dédié à l'égalité hommes-femmes. Nommé SoTogether, il compte 40 membres, hommes et femmes confondus, représentant toutes les branches de l'entreprise, et rassemble 20 nationalités. 72 % de ses membres occupent des rôles opérationnels, c'est-à-dire qu'ils fournissent des services aux clients.
« Grâce au leadership de SoTogether, nous orientons les processus relatifs aux ressources humaines comme le recrutement, l'évolution et la rétention des collaborateurs », se félicite Mia Mends. « Nous encourageons également les réseaux locaux à mener des actions en faveur de l'égalité des sexes à l'échelle locale, donnons plus de pouvoir aux femmes au sein de nos communautés locales et sommes pionniers en matière d'égalité hommes-femmes. »
« J'ai appris à m'entourer de leaders forts dans mon travail, ma communauté et mon cercle familial et amical. »
Meena Bajwa
Schneider Electric
Ses actions portent leurs fruits. « Nous avons déjà avancé dans la réalisation de trois de nos objectifs et espérons les atteindre d'ici 2025 », souligne Mia Mends. « Nous voulons que les femmes représentent 40 % de notre communauté de cadres supérieurs, que 100 % de nos collaborateurs travaillent dans des services dont les équipes de direction sont mixtes et surtout qu'une véritable culture d'inclusion soit mise en place. »
Grant Thornton est également à l'origine de belles opportunités grâce à son réseau d'initiative de femmes.
« Grant Thornton est un réseau mondial de plus de 130 cabinets, qui travaillent tous sur la diversité et l'inclusion », insiste Francesca Lagerberg. « Notre principal objectif est d'utiliser différentes méthodes, comme des ateliers d'activation, pour augmenter volontairement la diversité et l'inclusion, en favorisant notamment la parité. »
D'après leurs membres, ces réseaux apportent un soutien incroyable. Meena Bajwa, par exemple, qui dirige l'équipe marketing canadienne pour la multinationale de l'énergie et de l'automatisation Schneider Electric, est convaincue que les réseaux d'initiative de femmes ont joué un rôle déterminant dans sa réussite.
« J'ai appris à m'entourer de leaders forts dans mon travail, ma communauté et mon cercle familial et amical », rappelle-t-elle.
Women in Schneider Electric (WiSE) est l'un des nombreux groupes de ressources proposés aux collaborateurs et collaboratrices de l'entreprise. Bien que centré sur les femmes, ce groupe est ouvert à toute personne qui souhaite mettre en avant et soutenir les femmes en milieu professionnel. « WiSE propose des discussions de groupe, au cours desquelles nous échangeons sur nos parcours professionnels et les obstacles que nous rencontrons », explique Meena Bajwa. « Nous travaillons ensuite sur ces difficultés dans le cadre d'événements de recrutement, d'ateliers et de partenariats avec d'autres réseaux de femmes dans le domaine des sciences, de la technologie, de l'ingénierie et des mathématiques (STEM) afin de faire avancer les choses. Ces échanges m'ont permis de donner le meilleur de moi-même au travail, mais aussi d'en faire de même pour les autres. Ces réseaux favorisent également la camaraderie, car c'est en travaillant ensemble et en étant unis que nous sommes plus forts et nous tirons mutuellement vers le haut. »
FAVORISER L'ÉGALITÉ HOMMES-FEMMES, UN GAGE DE RÉUSSITE
Les adeptes des réseaux d'initiative de femmes s'accordent à dire qu'en fin de compte, les entreprises qui donnent aujourd'hui la priorité aux femmes sur le lieu de travail auront un avantage sur la concurrence à l'avenir.
« Il suffit de regarder les chiffres pour comprendre que l'égalité hommes-femmes profite aux affaires et à la croissance future », constate Mia Mends. « Actuellement, un tiers des PME sont détenues et gérées par des femmes. Et seuls 5 % des 500 grandes entreprises cotées en bourse aux États-Unis (S&P 500) ont à leur tête une femme pour PDG. Pourtant, 75 % des décisions d'achat dans le monde sont prises par des femmes. Elles représentent 40 % de la main-d'œuvre internationale et constituent le plus grand vivier de talents sous-utilisé dans l'économie mondiale actuelle. Or ce vivier de talents ne cesse de s'agrandir, puisque 60 à 70 % des nouveaux diplômés universitaires sont des femmes. »
Le cabinet de conseil en stratégie McKinsey estime même que si la représentation des femmes dans les équipes de direction de tous les pays d'une région était égale à celle des hommes, le PIB mondial grimperait de 12 000 milliards de dollars par an d'ici 2025. « Ces observations nous obligent à intégrer des stratégies de parité hommes-femmes pour obtenir les meilleurs résultats possibles », conclut Mia Mends.
« C'est simple, les entreprises qui misent sur la diversité seront celles qui prospéreront », résume Debbie Forster. « Elles bénéficieront d'un accès privilégié aux talents, d'une meilleure rétention de leurs collaborateurs et collaboratrices, d'une plus grande créativité et d'une meilleure connaissance des communautés dans lesquelles elles opèrent. Vous ne pouvez ignorer la question de l'inclusion et de la diversité au sein de votre entreprise, vous risqueriez de vous retrouver inévitablement à la traîne. »