En 2013, une étude publiée par le groupe néerlandais Spil Games révélait que plus d’1,2 milliard d’individus de tous âges et des deux sexes (soit 17% de la population mondiale) s’adonnent aux eux numériques. Les statistiques montrent que les jeux peuvent capter l’attention des jeunes et des moins jeunes. Désormais, des professeurs appliquent des principes de jeu dans les salles de classe pour aider les élèves à acquérir des connaissances scolaires et personnelles essentielles.
« La culture des jeux numériques s’élargit progressivement pour englober une proportion non négligeable de la population mondiale », déclare Samantha Adams Becker, directrice du New Media Consortium (NMC) à Austin, Texas, une alliance internationale d’universités, de musées et de sociétés basée aux États-Unis et consacrée à l’utilisation des technologies émergentes dans l’éducation. « De grandes organisations, dont IBM et la Banque mondiale, ont adopté la ludification pour ses bienfaits sur l’évolution professionnelle et scolaire. Parents et enseignants prennent de plus en plus conscience de sa capacité à susciter l’intérêt des apprenants. »
APPRENDRE EN S’AMUSANT
La ludification consiste à intégrer les mécanismes du jeu – compter les points, passer au niveau supérieur ou gagner des superpouvoirs virtuels – dans un environnement non ludique. Elle peut inclure des éléments d’apprentissage fondés sur le jeu ; mais si ce dernier concerne les jeux visant un résultat d’apprentissage spécifique, la ludification a pour objectif de susciter l’intérêt des élèves et d’encourager des comportements comme le travail en équipe, la participation aux discussions en classe, la réflexion créative et l’esprit critique. Plusieurs outils numériques de ludification ont été spécialement conçus pour les enseignants, comme l’application de gestion du comportement ClassDojo et le jeu de rôle en ligne Classcraft, qui peuvent être superposés au programme de cours existant.
Toutefois, la ludification ne suppose pas forcément une approche high-tech. « Elle est compatible avec presque tous les styles d’enseignement et peut s’utiliser quasiment partout, aussi bien dans une école peu ou pas axée sur la technologie que dans une salle de classe intégralement gérée en ligne », explique Michael Matera, professeur d’histoire et de relations internationales à l’Université de Milwaukee, aux États-Unis.
UNE MÉTHODE GAGNANTE
L’un des atouts de la ludification est qu’elle place les élèves au centre de l’expérience d’apprentissage, les plongeant dans un sujet qui pourrait autrement leur sembler rébarbatif. «L’histoire peut se révéler fastidieuse ou être un fabuleux voyage à travers l’humanité – notre histoire», déclare M. Matera qui «ludifie» l’ensemble de son programme depuis deux ans. «La ludification aide mes élèves à se voir comme des acteurs clés de leur apprentissage. Ils réalisent des recherches parallèles et des projets individuels ou de groupe qui renforcent leurs connaissances du monde et de la vie. Au fil de leurs expériences d’apprentissage, les étudiants sont motivés dans leur créativité et sont poussés à développer leur esprit critique. Ils aiment l’histoire lorsque celle-ci prend vie. Par exemple, lorsque nous étudiions le Moyen Age, j’ai transformé la salle de classe en monastère italien où les élèves ont travaillé sur des manuscrits enluminés. Les simulations sont toujours une réussite et favorisent un dialogue incroyable.»
« La ludification aide mes élèves à se voir comme des acteurs clés de leur apprentissage. »
MICHAEL MATERA
Professeur d’histoire et de relations internationales, Université de Milwaukee
Les résultats parlent d’eux-mêmes, explique M. Matera. « Dans l’ensemble, ma classe est devenue plus rigoureuse sur le plan scolaire. J’avais l’habitude de donner un guide et d’autoriser les fiches pendant les contrôles. Dans ma classe ludifiée, j’y ai renoncé et pourtant la moyenne des élèves a augmenté pour tous les contrôles et examens sur les deux années. J’attribue une grande partie de cette réussite au rôle du feedback et de “l’apprentissage par l’erreur” de la ludification. »
ÉVALUER LA RÉUSSITE
Là où la ludification est mise en œuvre, les parents et les enseignants portent leur attention sur la meilleure façon de mettre en pratique cette stratégie dans les écoles et sur la manière de mesurer son efficacité. « Les parents, les enseignants et les apprenants sont ouverts aux nouvelles méthodes s’ils ont une idée claire des objectifs d’apprentissage », déclare Kevin Glesinger, professeur de géographie à la Brooke Weston Academy à Corby, Royaume-Uni. « Le comportement et les niveaux de progrès sont des axes clés pour des organismes d’inspection scolaire comme l’Ofsted au Royaume-Uni, et la ludification aborde ces domaines. »
Toutefois, Sean Hampton-Cole, professeur de géographie et de réflexion au Crawford College Lonehill à Johannesburg, Afrique du Sud, craint que la ludification ne cristallise des pratiques éducatives qu’il conteste, dont les modes d’évaluation les plus traditionnels. « Avant de ludifier une classe, les enseignants et les écoles doivent d’abord se demander s’ils sont réellement innovants ou s’ils enracinent simplement des problèmes qui existent déjà », explique-t-il. « Mise en œuvre correctement, la ludification peut enrichir la classe du 21e siècle. Mais un système fondé sur des évaluations, des données, des performances et des notes axées sur l’extérieur pose problème. La ludification, avec son système de récompense, peut masquer ces problèmes derrière une expérience qui semble plus amusante, pertinente et immersive. »
« Avant de “ludifier” une classe, les enseignants et les écoles doivent d’abord se demander s’ils sont réellement innovants. »
Sean Hampton-Cole
Professeur de géographie et de réflexion, Crawford College Lonehill
K. Glesinger anticipe une autre objection éventuelle, mais cette fois de la part des écoles qui satisfont avec brio aux critères de réussite traditionnels. « Certains établissements, tels que des groupes académiques qui ont une puissante image de marque, peuvent hésiter à s’écarter des méthodes d’enseignement traditionnelles », affirme-t-il. « Mais même si la ludification n’est pas utilisée dans le cadre du programme d’études principal, elle pourrait s’avérer fort utile pour des projets extrascolaires. »
Selon Debbie Morris, mère d’une élève de CM2 à Norwich, au Royaume-Uni, ce qui compte le plus, c’est l’utilité de la ludification pour sa fille. « Ma fille adore les jeux vidéo, et si la ludification l’aide à apprendre et à développer des aptitudes sociales et personnelles à l’école, alors je suis pour », explique-t-elle.
JOUER POUR L’AVENIR
La ludification est une tendance relativement nouvelle dans l’éducation, mais va probablement se développer. Elle a surtout gagné du terrain dans les écoles en Europe et aux États-Unis, mais suscite de l’intérêt aux quatre coins du monde. À Singapour, par exemple, l’Institut National de l’Éducation a conçu un jeu vidéo pour soutenir le programme scolaire de chimie, tandis que les sociétés de jeux Rockmoon et FutureSchools@Singapore collaborent pour promouvoir une application mobile qui favorise l’apprentissage autonome et immersif.
La ludification mettra sans doute plus de temps à s’établir dans certaines régions, mais l’intérêt pour la méthode d’apprentissage basée sur le jeu prend de l’ampleur. Au Brésil, le NMC a constaté le développement de jeux numériques pour des scénarios d’enseignement spécifiques, et a fait état de recherches en matière de méthodologies éducatives comme l’apprentissage de la conception de jeux à des élèves de CP à la terminale.
« De grandes entreprises, comme Microsoft avec sa technologie Kinect, travaillent avec des écoles et des enseignants afin d’intégrer le jeu dans les salles de classe », déclare S.Adams Becker. « L’apprentissage basé sur la simulation est également une tendance à suivre, et nous verrons sans doute davantage de partenariats entre entreprises et organismes scolaires ayant pour mission la ludification. »
Cette tendance aide à changer le regard du public sur le jeu, habituellement considéré comme une perte de temps, explique S. Adams Becker. « Les jeux étaient vus comme une distraction, mais il est désormais clair qu’il existe des applications passionnantes dans l’enseignement et l’apprentissage. »