Le constructeur automobile Local Motors entre en scène en 2012 avec une première mondiale : le Rally Fighter, un bolide conçu en communauté. Pour y parvenir, Local Motors s’est appuyé sur les connaissances collectives en ligne de 20 000 concepteurs, ingénieurs, constructeurs et passionnés d’automobile.
« Il y a deux façons de procéder : soit vous faites appel aux personnes qualifiées pour résoudre un problème, soit vous organisez votre recherche sur le cloud pour obtenir de meilleures idées plus vite », explique Jay Rogers, PDG de Local Motors.
Jay Rogers est l’un des premiers à utiliser le crowdsourcing comme outil de résolution de problème. Ce terme, inventé par le journaliste Jeff Howe en 2006, a connu un succès immédiat, et a engendré une kyrielle de noms et sous-genres : « co-création », « crowd-creation », « crowd-voting » et même « crowd-funding ». Tous ont en commun d’exprimer le recours à l’exploitation de ressources collectives, qu’il s’agisse de ressources d’intelligence, de créativité ou financières.
REPENSER LA R&D
Jay Rogers suivait des cours à Harvard Business School lorsqu’il a imaginé un nouveau concept économique : le consommateur-créateur. Son idée lui a valu de remporter le concours annuel de business-plan d’Harvard, et l’a incité à fonder Local Motors. « Nous n’avons pas besoin de plus de voitures, nous avons besoin de meilleures voitures », déclare-t-il. « Le modèle économique traditionnel de la construction automobile privilégie la production de masse, ce qui est un obstacle à l’innovation », souligne Jay Rogers. « Il faut entre 200 et 1 000 millions de dollars, et cinq à sept ans pour développer un véhicule en appliquant les méthodes classiques. Ce système est par nature inefficace. » En comparaison, Local Motors développe ses véhicules cinq fois plus vite, en 12 à 18 mois, et pour un coût dix fois moins élevé.
L’entreprise utilise deux techniques fondamentales du crowdsourcing : les concours et la collaboration, en connectant, grâce à des outils sur le cloud, des milliers de contributeurs pour trouver des idées. Les participants téléchargent une application « client » gratuite qui leur donne accès à des modèles 3D,des cartes, des données, bref, tout ce dont ils ont besoin, afin de partager des informations. Ces passionnés peuvent même organiser des séances de chat en ligne en temps réel pour discuter d’un modèle en 3D, l’annoter et proposer des modifications.
« Soit vous faites appel aux personnes qualifiées pour résoudre un problème, soit vous organisez votre recherche sur le cloud pour obtenir de meilleures idées plus vite. »
RELIER L'INDUSTRIE ET L’UNIVERSITÉ
À l’autre bout du monde, l’Association pour la Promotion des Véhicules Electriques (APEV) réunit de nombreux constructeurs automobiles de la région Asie-Pacifique, où la saturation du trafic automobile et la pollution sont des préoccupations majeures. Pour concevoir une nouvelle génération de super micro-véhicules électriques (SMEV), l’APEV a lancé un concours de « bon sens collectif » invitant les étudiants d’universités du monde entier à soumettre des concepts en 3D.
« Nous sommes convaincus que ce concours nous apportera des idées inédites, originales et exaltantes en matière de SMEV », déclare Nobuhiro Tajima, commissaire en chef à l’APEV et PDG de Tajima Motor Corporation. « La co-création peut produire des résultats sans précédents dans des environnements extrêmement diversifiés, réunissant des collaborateurs issus de différents domaines, industries et régions du monde. Et aujourd’hui, les outils logiciels collaboratifs nous affranchissent des limites temporelles et géographiques. »
L’université de Tokyo participe au concours de l’APEV, qui permet à ses étudiants d’acquérir une expérience et des connexions avec le monde réel. « Dans le cadre de ce projet, les étudiants de l’université communiqueront avec les ingénieurs des entreprises membres de l’APEV, qui leur serviront de conseillers et de modèles », précise le Dr Yuhei Yamauchi, maître de conférences de l’Initiative Inter-faculté en Etudes de l’Information à l’université de Tokyo. « Les étudiants apprendront comment les ingénieurs abordent le processus de conception. En même temps, l’université pourra appliquer les connaissances issues de ses recherches de façon plus large, afin que la société en bénéficie. »
LES PIÈGES DU CROWDSOURCING
La création collaborative mène-t-elle systématiquement à de meilleurs résultats ? Les plus sceptiques citeront le fiasco de l’« iSnack 2.0 » qui, à l’issue d’un « crowd-voting » (littéralement, vote de la foule), avait été élu meilleur nom pour une nouvelle garniture de sandwich. Pour Marcia Yudkin, auteure d’ouvrages économiques et présidente de Named At Last, cette technique présente deux dangers majeurs. « Le premier est le manque de confidentialité », affirme-t-elle.
« Pour obtenir un résultat optimum des participants, vous devez communiquer des informations spécifiques sur votre projet, qui peuvent être brevetées. Le second danger réside dans l’exposition juridique. Vous pourriez être accusé de contrefaçon ou exposé à d’autres ennuis si des inconnus vous soumettent des idées plagiées. Tout dépend du mode de qualification et de sélection des participants – et si l’accès des éventuels contributeurs est restreint, il s’agit plus d’externalisation que de crowdsourcing. »
L’EXPÉRIENCE DARPA
L’agence américaine pour les projets de recherche avancée de défense (Defense Advanced Research Projects Agency ou DARPA) – leader en matière d’innovation, dont le réseau de communications a contribué, dans les années 1960, à la création d’Internet – teste actuellement le concept de crowdsourcing dans le cadre d’un concours pour la conception d’un véhicule amphibie de la Marine. Le système est protégé afin d’éviter les fuites d’informations sensibles.
« Notre façon d’interagir avec le monde a changé à tout jamais avec l’arrivée d’Internet », affirme Jay Rogers, de Local Motors, qui a travaillé avec DARPA sur la conception de véhicules militaires via le crowdsourcing. « Le rythme du changement s’accélère et impacte notre façon de faire en général, qu’il s’agisse de construire des voitures ou de mener une guerre. Il y a sur terre une multitude de créateurs qui ne rêvent que d’améliorer les produits. Nous fournissons une plateforme pour exploiter leur créativité. »