Si les consommateurs pensent rarement au processus complexe de lancement de nouveaux produits (ou NPI pour New Product Introduction) qui permet d’alimenter régulièrement les rayons en incroyables produits électroniques, les entreprises high-tech qui fabriquent ces appareils luttent sans relâche pour s’assurer le moindre avantage sur le terrain.
À mesure que les dispositifs se font plus complexes (combinant produits électroniques de pointe, logiciels et conception mécanique) et que les cycles de développement de produit raccourcissent, le risque d’erreur susceptible de ralentir le lancement d’un produit sur le marché, voire de l’anéantir, est accru.
Michael Zapata est entrepreneur dans le secteur technologique et président du conseil d’administration de Protochips, fabricant d’outils analytiques pour la recherche et le développement de nanomatériaux. Selon lui, les entreprises de pointe doivent maîtriser trois éléments principaux si elles souhaitent lancer de nouveaux produits avec succès :
1. Des outils, des méthodologies et des processus qui représentent la « mise de départ » pour pouvoir s’engager dans la partie.
2. Une culture de l’innovation à tous les niveaux hiérarchiques.
3. Les bonnes personnes aux postes clés qui savent comment promouvoir le NPI.
Une entreprise peut maîtriser les deux premiers points et malgré tout échouer si un employé non qualifié occupe un poste de direction décisif. « Une personne qui parle de processus et de bureaucratie n’est qu’un gestionnaire », explique M. Zapata. En revanche, un dirigeant s’intéressera au marché et aux risques, et s’attachera à concrétiser les idées.
Michael Keer, fondateur et PDG de Product Realization Group (PRG), cabinet de conseil en NPI aux entreprises high-tech, est du même avis. « Les outils à notre disposition sont innombrables », affirme-t-il. « Malheureusement, le nombre de personnes possédant les compétences nécessaires pour en tirer parti est limité. Tant d’éléments dépendent de l’équipe de direction et de la culture d’une entreprise. Les entreprises qui investissent dans l’efficacité opérationnelle dès les premiers stades du cycle commercial ont tendance à être plus prospères. Celles qui se concentrent sur le marketing ou la technologie sans investir dans un processus de NPI solide sont généralement plus faibles. »
Dans un livre blanc publié en 2012 intitulé « New Product Introduction (NPI): Seven Best Practices », M. Keer cite les principaux signaux d’alarme qui peuvent indiquer une mauvaise gestion du NPI : une mauvaise compréhension ou un manque de soutien de la direction, un capital et des ressources insuffisantes incluant l’expertise, des calendriers peu réalistes, un équipement inadapté à la production, des modèles non évolutifs,des essais infructueux ou incomplets, ou encore une mauvaise communication.
UNE APPROCHE GLOBALE
Sanjay Keswani, PDG de Consensia, un fabricant de logiciels de la Silicon Valley qui aide les entreprises high-tech à gérer leurs processus de NPI, conseille aux dirigeants confrontés à ce type de difficultés de prendre du recul et d’adopter une approche globale de leur organisation. La mise sur le marché d’un nouveau produit requiert un si grand nombre d’activités distinctes et simultanées que l’on peut aisément perdre de vue la situation dans son ensemble.
« Il faut une très bonne équipe pluridisciplinaire avec un leader efficace », déclare S. Keswani. Ce chef, qui supervise une bonne équipe, responsable d’un large éventail de disciplines et de compétences techniques, doit pouvoir rester concentré sur une question fondamentale : « comment faire pour rassembler toutes ces idées intéressantes afin de répondre aux besoins du marché ? ». Pour réussir, S. Keswani recommande aux responsables de NPI de :
• Mettre en place une méthode claire dite de « phase-gate », qui permet aux managers et aux équipes de décomposer et d’évaluer le processus d’innovation. Chaque étape est précédée d’une « porte » (gate), où peuvent être examinées des questions clés : les étapes précédentes ont-elles été correctement exécutées ? La logique commerciale est-elle encore valable ? Les ressources sont-elles disponibles ? À chaque étape, les décideurs sont amenés à valider, réviser, suspendre ou abandonner le projet.
• Limiter les risques à chaque étape. « Cela vient avec l’expérience », explique S. Keswani. « Imaginez ce qu’implique une modification des caractéristiques techniques après leur approbation. On peut les modifier, mais il faut tenir compte des risques. » S. Keswani conseille aux dirigeants d’entreprises high-tech de s’inspirer d’industries plus matures, comme les secteurs automobile ou aéronautique et défense, qui ont une démarche d’analyse et de conduite du changement méthodique et efficace. « Le monde high-tech doit tirer parti de l’expérience de ces industries et mettre en place des méthodes d’ingénierie des systèmes pour gérer la complexité des produits. »
• Adopter un prototypage rapide et une mise à l’essai accélérée grâce à des modèles de CAO destinés à analyser la compatibilité, la forme et le rendement fonctionnel de manière virtuelle, avant de passer aux tests physiques. « Les logiciels de simulation sont devenus un instrument indispensable de garantie de la qualité, non seulement pour l’analyse de la conception de produits, comme le test de chute, mais aussi pour s’assurer que les fournisseurs sont avertis des changements, et que leurs décisions correspondent à celles liées aux composants et systèmes connexes. »
Les experts s’entendent pour dire qu’une planification précoce est essentielle. Celle-ci implique une coordination des activités en aval, interdépendantes mais simultanées, dont l’ingénierie et les opérations,
le développement et l’évaluation de produits, l’analyse du marché et la conformité aux réglementations, les procédés de fabrication, la logistique et les les exigences de la chaîne d’approvisionnement, la distribution
et le conditionnement, le marketing, la vente et la formation.
VALORISER PAR L'INFORMATION
M. Keer attire l’attention sur l’explosion extraordinaire des ressources, dont les systèmes perfectionnés de PLM, qui permettent aux équipes pluridisciplinaires de gérer plus facilement des activités simultanées en offrant un aperçu en temps réel de l’évolution d’un produit. « Au cours des cinq dernières années, il y a eu une réelle amélioration du stockage, du contrôle et de la communication des données des produits, permettant désormais aux entreprises de surmonter la dispersion des informations et de parvenir à un processus de NPI solide », explique-t-il.
En aidant à coordonner les activités de NPI, de tels systèmes permettent également aux entreprises de respecter des délais de commercialisation toujours plus serrés, affirme Geoffrey Annesley, directeur technique chez Serus, entreprise de gestion de la chaîne logistique.
Par exemple, une bonne conception de produit implique généralement une équipe d’ingénieurs concepteurs et des questions relatives à la gestion de la propriété intellectuelle, éléments qui doivent être adaptés à la fabrication de masse d’un produit de qualité supérieure. La production, souvent externalisée, nécessite un modèle spécifique de processus de fabrication, avec sa propre équipe de concepteurs et sa propriété intellectuelle. « Ces deux processus distincts doivent fonctionner en parallèle et les deux groupes de concepteurs doivent bénéficier de retours », déclare G. Annesley. « Souvent, c’est un vrai fouillis et l’externalisation de la production aggrave ce phénomène. »
Kevin Leedy, directeur de la logistique et de la chaîne d’approvisionnement pour le géant américain Qualcomm, est bien conscient du défi. Au lendemain de l’acquisition en 2011 d’Atheros Communications, entreprise d’une valeur de US$3,2 milliards spécialisée dans les réseaux de communication sans fil, Qualcomm a vu l’activité de sa chaîne logistique enregistrer une croissance de 30% en un an. Néanmoins, l’ensemble de sa production était sous-traité et 80% de ses données opérationnelles étaient générées à l’extérieur de Qualcomm.
« Je n’avais pas une bonne visibilité », explique K. Leedy lors d’un séminaire en ligne sur le site Internet de l’entreprise. « Il y avait clairement un décalage. J’employais plusieurs salariés à temps plein afin de répondre à ces changements et résoudre les problèmes. Ce n’était tout simplement pas la solution dont nous avions besoin pour évoluer et notre croissance en subissait les conséquences. »
Afin d’automatiser ses processus, Qualcomm a mis en place un outil virtuel de gestion de la chaîne logistique, facilement adaptable à chaque fournisseur. L’outil permet d’obtenir des données précises en temps réel sur les ressources matérielles, la consommation des ressources, les centres de paiement et la facturation, soutenant la croissance des opérations et des revenus de l’entreprise et permettant de libérer ses talents humains pour gérer les changements de processus liés à la fusion.
PANASONIC : LE MAÎTRE DU NPI
Quelle que soit la manière dont on qualifie ce défi, les facteurs déterminants du NPI sont la rapidité pour vaincre la concurrence et de bons produits qui séduisent les consommateurs et les incitent à en acheter toujours plus. Le fabricant d’électronique grand public Panasonic maîtrise ces deux aspects.
« La rapidité est l’enjeu principal », explique Shigeo Okuda, directeur du développement et de la promotion pour la tablette 4K de Panasonic, présentée lors du Consumer Electronics Show (CES) 2013. « Bien entendu, nous devons réduire la durée de nos opérations de production, mais notre plus gros défi est de comprendre les changements sur le marché et de les traduire dans nos activités de développement le plus rapidement possible, et de lancer les bons produits au moment opportun. »
La mise à disposition des informations est si rapide que c’est un véritable exploit de conserver une longueur d’avance sur la concurrence, commente S. Okuda. « Le développement des réseaux signifie que les informations sont désormais transmises instantanément. Le marché évolue rapidement et l’ère du numérique a progressé au point que des produits aux performances similaires et de même qualité peuvent être fabriqués de façon satisfaisante. Dans ce contexte, il est difficile de lancer des produits réellement performants. »
À mesure que Panasonic élabore de nouveaux produits, il met fermement l’accent sur les besoins et les exigences du client. « Le client est au cœur de toutes nos initiatives », affirme S. Okuda. « Nous analysons son mode de vie et travaillons dans le but de l’améliorer. C’est notre point départ pour parfaire la qualité de vie de tous nos clients. »
Panasonic veille à ce que ses produits répondent aux besoins des consommateurs grâce à une série de tests numériques approfondis, au moment où les changements sont encore simples et réalisables financièrement. « Afin d’assurer un plus grand degré de certitude en ce qui concerne le succès d’un produit, nous devons établir et tester des hypothèses sur la manière dont nos clients utiliseront nos nouveaux produits, et dans quel contexte et comment ces produits leur apportent une valeur ajoutée », affirme S. Okuda. « Si la réaction d’un client laisse entendre que nos hypothèses étaient quelque peu hors sujet, nous devons rapidement nous adapter et procéder à des modifications. Si nous y parvenons, alors nous devrions pouvoir lancer de nouveaux produits sophistiqués qui satisferont nos clients. »
Pour atteindre cet objectif, Panasonic a utilisé des applications et processus avancés de PLM. « Nous avons déjà réussi à réduire considérablement les délais et les coûts pour améliorer nos modèles grâce aux avancées de la simulation numérique, qui remplace la série de prototypes physiques que nous devions fabriquer par le passé », déclare S. Okuda.
LA CULTURE DU SUCCÈS
Les entreprises organisées pour partager des idées dans un dialogue collaboratif avec les fournisseurs, les collègues et même les clients, à l’instar de Panasonic, stimulent un partage ouvert des connaissances qui leur permet généralement d’avoir un processus de NPI performant, explique Robert Handfield, professeur de gestion de la chaîne logistique à l’université d’État de Caroline du Nord aux États-Unis et consultant éditorial pour le Journal of Operations Management. « Très peu d’entreprises excellent dans ce domaine », commente-t-il. « Il faut du temps pour construire des relations et des rapports de confiance. »
R. Handfield cite Honda comme exemple de collaborateur performant. Le constructeur automobile donne généralement à ses fournisseurs un objectif de coût et un cahier des charges, mais pas de modèle, et demande aux ingénieurs et concepteurs du fournisseur de trouver la meilleure solution possible. « Cela permet d’amorcer le dialogue », explique-t-il. « Cette stratégie permet aux fournisseurs de proposer des idées. Pour en arriver là, il faut instaurer une relation de confiance. »
Noel Sobelman, partenaire chez Kalypso, qui accompagne les entreprises des secteurs high-tech et des sciences de la vie dans la mise au point de nouveaux produits, explique qu’en 22 ans d’expérience dans l’industrie, il a vu les nombreux pièges qui menacent le NPI. « Il existe un gros problème lorsque les entreprises considèrent l’amélioration des processus comme un phénomène de mode », déclare-t-il. « Pour que les programmes d’amélioration portent leurs fruits, il convient de faire appel aux employés pour dégager des pistes d’amélioration. »
Les processus de NPI nécessitent leurs propres paramètres et dépendent d’agents de changements dans des postes de direction avec une influence organisationnelle. « Il est primordial d’avoir des employés qui ne sont pas simplement des policiers criant à la faute lorsque quelqu’un commet une erreur », déclare N. Sobelman. « Ceux qui comprennent le rapport entre l’amélioration des capacités et la réussite durable d’une entreprise sont rares, tout comme les hauts responsables qui apprécient leur contribution et font avancer les choses. L’amélioration des processus n’est pas très séduisante, mais si elle est menée à bien, c’est ce qui distingue les gagnants des perdants. »
Pour un NPI performant, les spécialistes interrogés dans cet article conseillent aux entreprises de cultiver : • Une culture de l’innovation ;LE NPI EN 11 POINTS :
• Une connaissance continue du marché et des clients grâce à une collaboration avec les partenaires, les clients et les intervenants dans le processus
• Des dirigeants capables d’expliquer clairement comment concrétiser les idées avec une efficacité opérationnelle ;
• Des outils et des méthodologies afin d’accélérer et de rationaliser le travail ;
• Une planification précoce pour coordonner les activités indépendantes et simultanées en aval ;
• Un ordonnancement des opérations automatisé afin de garantir une bonne visibilité ;
• Un prototypage rapide et une mise à l’essai accélérée grâce à des modèles en 3D et des simulations ;
• Des processus clairs pour trouver un juste équilibre entre les risques et les bénéfices potentiels ;
• Un capital et des ressources suffisants afin de suivre un programme réaliste et d’effectuer les essais adéquats ;
• Un processus de « phase-gate » destiné à faciliter les décisions de poursuite ou d’interruption des projets ;
• Des processus d’amélioration continue reposant sur des paramètres établis.