Selon le Bureau of Labor Statistics américain, l’industrie de produits pharmaceutiques et de dispositifs médicaux a doublé ses dépenses en R&D en dix ans, pour produire à peine 40% de nouveaux traitements. Face à des réserves qui s’amenuisent, le secteur s’efforce de se réinventer et les autorités de contrôle s’alignent pour rationaliser les processus d’examen des nouveaux traitements.
Pour les observateurs avertis, l’industrie doit donner la priorité aux processus de développement pour réduire les délais et les coûts de commercialisation des nouveaux médicaments et dispositifs médicaux. Ainsi, le docteur Scott Gottlieb, commissaire adjoint aux affaires médicales et scientifiques de la Food and Drug Administration (FDA), pointe du doigt la méthode empirique et statistique qui domine actuellement la R&D dans le secteur de la santé. Il la dénonce comme une méthode rigide et un frein à l’innovation qui entraîne des essais cliniques « trop larges » permettant de recueillir des données à grande échelle, mais qui ne concernent pas les patients individuels.
REPENSER LE DÉVELOPPEMENT
Le cabinet-conseil Pricewaterhouse Coopers (PwC) observe dans son étude « Pharma 2020 : The Vision » que les tests cliniques et les « biomarqueurs » peuvent servir à regrouper les patients qui présentent des maladies proches mais distinctes, permettant aux fabricants de médicaments de mieux cibler leurs essais cliniques et de réduire de moitié les coûts de développement. PwC estime que grâce à ces informations ciblées sur les patients, les médicaments seront approuvés en temps réel d’ici 2020 et recevront des licences « évolutives » limitées.
Les licences évolutives dépendront des essais dans des conditions réelles sur de petits groupes de patients, avant d’être étendues à des groupes plus importants ou à d’autres populations si les essais confirment que le médicament est sûr et efficace. « Chaque médicament sur le marché aura un parcours prédéterminé, complètement automatique tout au long de son cycle de vie, et son élaboration fera l’objet d’un processus continu qui ne s’achèvera pas avec son autorisation de mise sur le marché », explique le cabinet-conseil.
Néanmoins, une telle évolution nécessitera le soutien des organismes de contrôle ainsi que des modifications de la législation régissant actuellement les nouveaux produits pharmaceutiques et les dispositifs médicaux. « Les autorités réglementaires réclameront une collaboration plus poussée et devront être consultées plus tôt dans la phase de développement », affirme PwC.
SÉCURITÉ ET INNOVATION
Les autorités réglementaires subissent de fortes pressions, surtout en matière de sécurité, déclare Baba Awopetu, directeur marketing Europe chez Leica Microsystems, basé à Wetzlar en Allemagne et leader des systèmes d’imagerie médicale de pointe à des fins chirurgicales. « Il faut avant tout qu’elles soient vues comme prenant soin des citoyens. » B. Awopetu estime toutefois qu’il convient d’instaurer un équilibre entre la sécurité et l’importance accordée à la commercialisation de traitements innovants lorsque les bénéfices pour les patients l’emportent sur les risques. « Si nous voulons nous attaquer aux maladies graves du 21e siècle, nous devons tolérer certains risques afin de commercialiser des innovations de qualité », explique-t-il.
La mission des organismes de contrôle, déclare B. Awotepu, consiste à trouver un juste équilibre entre la prudence et l’innovation. PwC est du même avis : « Les autorités cherchent de plus en plus à prouver que les nouveaux médicaments sont non seulement sans danger et efficaces, mais également supérieurs aux thérapies déjà présentes sur le marché ».
NORMES MONDIALES
À cette fin, les organismes de réglementation du monde entier collaborent plus que jamais. « On assiste à une stratégie d’élaboration de médicaments plus associative», explique le docteur Kenneth Kaitin, professeur et directeur du Tufts Center for the Study of Drug Development à Boston (États-Unis). Imitant l’industrie qui se focalise sur les partenariats et les alliances stratégiques, les organismes de réglementation collaborent pour partager les informations et examiner les données. « Un nombre incroyable de données circulent et sont analysées par des organismes partenaires, et ils échangent de plus en plus », dit-il. « En outre, comme les types d’applications examinés sont d’une complexité croissante, le niveau de collaboration inter-organisationnelle destiné à régler les questions soulevées ne fera qu’augmenter.»
L’Agence européenne des médicaments (EMA) basée à Londres, responsable de l’évaluation scientifique des produits pharmaceutiques au sein de l’Union européenne (UE), gère déjà une base de données réunissant tous les essais cliniques menés dans l’UE qui est susceptible de devenir une plateforme mondiale permettant de garantir la transparence des données d’essais cliniques. Par ailleurs, la FDA étudie la mise en œuvre d’un processus de soumission entièrement dématérialisé, ainsi qu’une solution d’échange électronique pour partager les résultats de la recherche clinique.
« Les organismes de réglementation internationaux souhaitent une harmonisation », déclare le docteur Chris Milne, directeur de la recherche pour le Tufts Center for the Study of Drug Development. « Soyons honnêtes. Les maladies ne s’arrêtent pas aux frontières géographiques. La vigilance est un objectif partagé par les principaux organismes de réglementation. Il existe une volonté de la part de tous de mettre en place une structure commune afin de créer une plateforme pour l’innovation. »
40%
L’industrie de produits pharmaceutiques et dispositifs médicaux a doublé ses dépenses en R&D en dix ans, pour produire à peine 40% de nouveaux traitements. US BUREAU OF LABOR STATISTICS
Par ailleurs, les autorités réglementaires travailleront plus étroitement avec les entreprises pharmaceutiques, annonce le Dr Kaitin. Ainsi, les entreprises et la FDA collaborent de plus en plus sur les nouvelles lignes de conduite à adopter, comme l’amélioration de la conception des essais cliniques.
« Il est dans l’intérêt des deux groupes de créer des processus d’élaboration de médicaments plus efficaces pour réduire les temps de développement et améliorer le taux de réussite des nouveaux produits », explique K. Kaitin. « Aux États-Unis, la FDA a reçu le feu vert du Congrès pour nouer le dialogue et collaborer avec l’industrie afin de l’aider à mieux commercialiser les nouveaux médicaments. En fin de compte, cela aide aussi les patients. »