L'intelligence artificielle (AI) — que la société informatique NVIDIA basée à San Francisco définit comme « l'intelligence de l'Homme manifestée par des machines » progresse à une vitesse fulgurante. Elle entre en jeu
chaque fois que nous posons une question à Siri ou à Alexa, que nous consultons les recommandations Netflix, ou qu'un ami nous est suggéré par Facebook.
Bien que l'AI soit déjà active dans beaucoup de nos interactions quotidiennes, les entreprises commencent à peine à mesurer toute sa puissance.
« L'AI a atteint un point critique dans ce qu'elle peut faire pour les entreprises », explique Mark Purdy, directeur général et économiste en chef chez Accenture Research à Londres. « Cela est dû aux progrès dans le domaine de la puissance de traitement, du stockage et de la récupération des données, des capteurs et des algorithmes. Grâce à ces développements, les entreprises sont désormais en mesure d'optimiser les processus avec des systèmes d'automatisation intelligents, d'optimiser le travail humain et le capital physique, et d'innover. »
Les informaticiens du laboratoire d'AI de l'Université de Stanford en Californie ont entraîné un algorithme pour diagnostiquer visuellement les cancers de la peau potentiels. Microsoft a fait la démonstration d'un système de reconnaissance vocale au moins aussi performant que les transcripteurs professionnels. Les scientifiques du laboratoire de recherche en informatique et en intelligence artificielle du MIT ont extrait les données de plus de 3 millions de courses en taxi pour trouver une façon plus intelligente de transporter les gens autour de Manhattan. Et des constructeurs automobiles de premier plan ont utilisé le deep learning, une technique de mise en œuvre de l'apprentissage automatique, pour créer des véhicules autonomes qui scrutent, analysent et réagissent à leur environnement, afin d'aider les conducteurs à optimiser leurs décisions et leurs actions.
L'ADOPTION DANS LA FABRICATION
Le secteur manufacturier, en revanche, est à la traîne. Dans un article rédigé pour la société d'intelligence média Meltwater, Brent Dykes, directeur de la stratégie de données de l'éditeur de logiciels Domo basé dans l'Utah, explique que « la maturité de l'analytique est une étape clé sur la voie du succès avec l'AI ». Cependant, d'après le cabinet de conseil international McKinsey, les industries manufacturières n'ont capté jusqu'à présent que 20 à 30 % environ de la valeur potentielle des données et des analyses — une poignée de leaders de l'industrie prenant la plus grosse part du gâteau.
Forrester, cabinet de recherche et de conseil international dans le domaine du commerce et de la technologie, estime qu'une grande partie de cette valeur réside dans la maintenance préventive, une spécialité du fabricant international de robots industriels FANUC. Cette société exécute une application Zero Down Time (ZDT) sur son nouveau système FIELD, qui recueille les données de plus de 6 000 robots dans 26 usines, et les analyse avec une application d'apprentissage automatique. Tous les problèmes susceptibles d'entraîner une panne sont mis en évidence, et FANUC envoie les pièces et l'assistance requises pour résoudre le problème avant qu'une interruption ne se produise.
« Le système FIELD de FANUC permet aux entreprises d'exploiter la vaste quantité de données dont elles disposent », explique Steve Capon, directeur technique de FANUC UK. Grâce à la mise en œuvre de l'AI, la planification des besoins de maintenance préventive afin de réduire les temps d'arrêt est une réalité ».
UN AVENIR PROMETTEUR
Le potentiel de l'AI dans d'autres domaines, tels que l'amélioration de l'automatisation industrielle, est immense.
« C'est un domaine de grande opportunité pour toute entreprise, y compris pour Boeing », écrit Harish Rao, directeur principal de l'analyse des données, dans la newsletter Innovation Quarterly de février 2017 de l'avionneur. « Les tâches complexes peuvent être automatisées pour améliorer la productivité, la qualité et la sécurité tout en aidant à respecter les délais de livraison. Au lieu d'identifier simplement une tâche à automatiser, un modèle de deep learning peut analyser l'ensemble des données, déterminer des tendances et recommander la meilleure tâche pour l'automatisation. »
Conscient de l'énorme potentiel de l'automatisation d'usine pilotée par l'IA, FANUC a investi 7,3 millions de dollars (900 millions de yens) dans la société japonaise spécialiste du deep learning Preferred Networks (PFN) en vue de créer un robot qui utilise l'AI pour se former lui-même à de nouvelles tâches.
« FANUC est la première entreprise du genre à intégrer la technologie AI dans ses produits de cette manière, », affirme Shohei Hido, directeur de recherche au bureau californien de Preferred Networks. « Nous avons intégré la technologie AI dans nos robots de prélèvement de bacs, en utilisant le deep learning pour déterminer à quel emplacement du bac le prélèvement s'effectuerait le mieux. Mais avec l'AI, le robot peut apprendre en quelques jours comment prélever tout type d'objet, avec plus de 90 % de précision. Nous pensons que cette technologie sera mise en œuvre par les fabricants dès cette année. »
FABRICATION SUR COMMANDE
L'AI offre la possibilité de faciliter la création d'entreprises plus adaptatives et agiles.
« Si l'industrie est passée de l'ère de la fabrication de masse à celle de la production au plus juste, la tendance est aujourd'hui à la “fabrication de masse sur mesure” », indique Sreenivasa Chakravarti, responsable innovation et transformation dans la fabrication pour Tata Consultancy Services. Comme de plus en plus de caractéristiques produit sont repoussées vers la deuxième moitié des opérations, les systèmes doivent réagir plus rapidement que jamais. Cela n'est possible qu'avec des machines qui apprennent et s'adaptent à ces besoins ».
adidas, équipementier spécialisé dans la fabrication d'articles de sport, teste déjà la production personnalisée pilotée par AI, et s'apprête à ouvrir sa SpeedFactory à Atlanta fin 2017. adidas n'entre pas dans les détails, mais indique seulement que la SpeedFactory utilisera les données pour relier les différentes parties de son process de production d'une manière intelligente. La technologie robotique et l'impression 3D se combineront pour créer une opération de fabrication automatisée, flexible et décentralisée. « Cela nous permet de fabriquer en temps réel des produits pour le consommateur, avec lui, et là où il vit, en libérant une créativité incomparable et des possibilités infinies de personnalisation en Amérique », déclare Eric Liedtke, membre du conseil de direction de la société, dans un communiqué de presse.
UN PROJET EN DEVENIR
Cependant, pour que tout ce potentiel se réalise, les fabricants devront combler une lacune importante en matière de compétences.
« Quelle que soit la qualité d'un système d'AI, les fabricants ne pourront en profiter que s'il y a le capital humain pour l'appliquer et la maintenir », explique Robert Atkinson, président de l'ITIF (Information Technology and Innovation Foundation), basée à Washington, DC. « McKinsey a estimé qu'il manque 140 000 à 190 000 spécialistes du traitement des données rien qu'aux États-Unis en 2018, et un déficit encore plus grand de managers et analystes possédant les compétences nécessaires dans le monde du Big Data. » Milind Lakkad, responsable international et vice-président exécutif de la fabrication chez Tata Consultancy Services, constate également un décalage entre l'état actuel de l'industrie manufacturière et le rythme de progression de l'AI.
20%-30%
D'après McKinsey, les industries manufacturières n'ont capté jusqu'à présent que 20 à 30 % environ de la valeur potentielle de l'AI.
« Pour qu'un site de production soit efficace, ce n'est pas seulement la machine ou l'équipement qui doit soutenir l'AI », souligne-t-il. « Pour que l'AI réussisse, il faut une profonde compréhension de la dépendance du comportement de chaque équipement sur les autres pour planifier des opérations séquencées. » Pour atteindre ce niveau de compréhension, précise Milind Lakkad, trois conditions parallèles doivent être satisfaites.
« Des protocoles ouverts et standard pour l'échange d'informations sont nécessaires pour faciliter l'apprentissage cognitif. De plus, les OEM doivent déployer des efforts soutenus pour placer une plus grande partie de leur base installée “sous gestion” via une procédure intelligente. Rien de tout cela ne peut se faire au niveau de l'entreprise. Il est indispensable que tous les acteurs de l'industrie travaillent de concert. »
PERSPECTIVES
Pendant que le secteur manufacturier rattrape son retard, l'AI poursuit son évolution.
« Nul doute que nous serons surpris par les possibilités offertes par l'AI d'ici quelques années », déclare Bill Franks, directeur de l'analytique à la branche d'Atlanta de la société de gestion et services de données Teradata. Et de conclure : « En définitive, l'AI apportera aux industriels plus d'efficacité, une qualité plus homogène et une baisse des déchets ou de la détérioration. »