La fabrication et les logiciels

Les fabricants de matériel sont les grands gagnants d’un monde piloté par les logiciels

Rebecca Lambert
1 February 2019

5 minutes

Des voitures aux appareils ménagers, les logiciels de pointe ne sont plus seulement le domaine réservé des ordinateurs sophistiqués ; il y en a partout. Une automobile haut de gamme, par exemple, contient en moyenne au moins 50 millions de lignes de code. L'importance croissante du code oblige de nombreux fabricants à devenir également des éditeurs de logiciels.

Amazon vous facilite désormais la vie, même si vous n’êtes pas vraiment doués en cuisine. Son nouveau four à micro-ondes intelligent lance la cuisson des repas sur simple commande vocale, sans aucune expertise. Il suffit de mettre une pomme de terre dans le four et de dire « Alexa, cuis ma pomme de terre au micro-ondes », et l'appareil choisit lui-même les bons réglages pour le plat.

Le micro-ondes fonctionne à l'aide d’Alexa Connect Kit, un module Wi-Fi et Bluetooth basse énergie équipé de logiciels qui se connecte automatiquement et en toute sécurité aux services cloud gérés par Amazon - et aux paramètres de cuisson au micro-ondes de centaines de plats courants.

Améliorer des appareils ordinaires à l’aide d’une solution logicielle est une stratégie qui a le vent en poupe actuellement. Cette stratégie va changer de façon spectaculaire les attentes des consommateurs à l’égard des fabricants. Aujourd'hui, il ne suffit pas de maîtriser la conception mécanique, électrique et de facteur de forme ; les fabricants doivent aller plus loin en comprenant aussi le logiciel.

« Aujourd’hui, nous mettons du silicium partout », souligne Steve Koenig, vice-président Étude de marché de l'Association des consommateurs de technologie grand public aux États-Unis (CTA). « Nous utilisons des logiciels pour pouvoir intégrer un certain nombre de caractéristiques et fonctions dans les appareils. C’est une bonne nouvelle pour les consommateurs, étant donné que ces systèmes peuvent être mis à jour sur Internet : ils peuvent accéder à tout moment aux nouvelles fonctionnalités et améliorations. »

COMPLEXITÉ CROISSANTE

Pour de nombreux fabricants, cela signifie changer fondamentalement les produits qu'ils fabriquent et la manière de les produire. Dans le secteur automobile, par exemple, les constructeurs sont maintenant en train de créer ce qui est, fondamentalement, un robot à quatre roues.

« De nombreux modèles du marché intègrent le drive-by-wire - il n'y a plus aucune liaison mécanique entre la direction et les roues, explique Steve Koenig du CTA. Et le moteur est géré par le logiciel, qui contient le jeu d'instructions indiquant à l'ordinateur, ou disons la voiture, comment fonctionner. »

D'ici 2030, estime le cabinet d'études McKinsey, le logiciel comptera pour près d'un tiers du contenu d’une voiture familiale type. Aujourd'hui, il représente environ 10 %.

« Au cours des dix dernières années, le niveau de complexité du logiciel que nous gérons a été multiplié par cinq au moins », précise Jean-François Salessy, vice-président senior de la R&D et directeur de la division des systèmes électriques et électroniques chez PSA Group. « Quand j'ai commencé ma carrière il y a 30 ans, l'ordinateur embarqué qui gérait la mission aérienne du Rafale de Dassault contenait environ 1 million de lignes de code applicatif. De nos jours, nos voitures contiennent dans les 50 à 60 millions de lignes de code. Plus de 80 % des fonctionnalités de la voiture sont alimentées par le logiciel. »

PASSER LA MAIN AU LOGICIEL

À l’instar de la Division des systèmes électriques et électroniques de PSA, de nombreux constructeurs ont créé des départements dédiés afin de se concentrer sur l'innovation logicielle.

« L’équipe logiciel a besoin de prendre l’initiative dans la conduite du développement fonctionnel d’un produit », explique Adam MacBeth, responsable d’étude qui travaille sur Fuchsia, le nouveau système d'exploitation de Google, dans une interview accordée à First Round Review. « Le logiciel est l'aspect le plus responsable de la création du comportement visible par l'utilisateur ».

Cependant, c’est un nouveau défi complexe à gérer que de faire se compléter mutuellement la conception logicielle et mécanique.

« Nous devons anticiper l'impact du logiciel sur le matériel, ajoute Jean-François Salessy de PSA. Nous évaluons l'empreinte du logiciel sur l'architecture - l’espace requis pour les banques de mémoire, la réactivité accessible, etc. »

Mais pour Adam MacBeth, chaque discipline, matérielle et logicielle a tendance à faire des suppositions sur le domaine de l’autre qui ne se confirment pas, d’où des ordres de modification coûteux pour résoudre les erreurs. « L'équipe d'ingénierie matérielle peut faire des suppositions sur le temps de réponse du logiciel, dit-il. L'équipe logicielle peut se faire sa propre idée sur la sensation que provoquera l’appareil quand il sera dans la main d’un utilisateur. Il est arrivé que le matériel créé ne puisse pas permettre physiquement au logiciel de fonctionner. »

ORGANISÉ POUR LE SUCCÈS

Pour éviter des conflits entre le matériel et le logiciel, il faut une visibilité totale et une collaboration étroite entre les deux équipes de développement.

Le fabricant suisse d’électroménager V-ZUG, par exemple, utilise une plate-forme d'innovation de produits pour aider ses collaborateurs à travailler ensemble de manière efficace et à éviter les mauvaises surprises de fin de cycle.

Peugeot dévoile le concept car e-Legend au Mondial de l’automobile en 2018. Doté d'intelligence artificielle, il embarque un assistant personnel à commande vocale pour la conduite autonome. (Image © PSA Group)

« L'un des principaux avantages de la plate-forme est de fournir une solution intégrée pour les différentes disciplines impliquées dans le développement produit », déclare Petra Peter, technicienne en génie mécanique chez V-ZUG.

« Toutes les parties prenantes - mécanique, électrique, développement logiciel - peuvent collaborer sur la version la plus récente des données d'un produit, ce qui favorise un échange fluide des idées, ajoute Blaise Metzker, responsable CAD/CAM chez V-ZUG. Cette transparence augmente également la qualité des produits. »

Les plates-formes d'innovation produit qui prennent également en charge la simulation digitale vont plus loin, en aidant les différentes disciplines à tester leurs conceptions dans un environnement virtuel pour vérifier qu'elles fonctionnent comme prévu, bien avant le début de la production.

« Notre équipe développe de nouveaux processus et technologies où les règles de conception traditionnelles ne sont plus applicables », affirme Sini Rytky, vice-président de la gestion produit chez TactoTek, un fabricant de systèmes électroniques dont le siège se trouve en Finlande. « La simulation nous est apparue comme une solution pour vérifier le bon fonctionnement des fonctions électriques avant de construire des pièces réelles. La conception est plus rapide et les réglages finaux prennent moins de temps. »

COMBINER STYLE ET FONCTION

Les experts s’accordent à dire que les leaders de la fabrication sont de plus en plus souvent ceux qui démontrent leur capacité à créer des expériences matérielles et logicielles transparentes qui connectent plusieurs aspects de la vie du consommateur et, en fin de compte, rendent les tâches quotidiennes plus faciles.

« Plus votre logiciel a d’influence sur votre matériel, et plus vous pouvez adapter votre produit aux besoins des utilisateurs », indique Adam MacBeth.

V-ZUG, de son côté, utilise son logiciel pour différencier ses produits de ses multiples concurrents.

« Nous offrons à nos clients davantage de fonctionnalités que ce qui leur est habituellement proposé dans le secteur [de l’électroménager] », déclare Ernst Dober, responsable développement et services chez V-ZUG. « En même temps, notre priorité est de rendre nos appareils faciles d’utilisation. C’est pourquoi nous avons inventé la fonction press and go, qui lance automatiquement le programme désiré d’un simple appui sur un bouton. Nous livrons également des recettes au format digital avec nos fours et cuisinières qui peuvent être utilisées par tout le monde. »

Bien que le logiciel puisse être un élément de différenciation, il ne peut cependant pas compenser un design physique médiocre. Les consommateurs continuent de préférer les produits qui sont agréables à l'œil et confortables dans la main.

« Je crois que la relation affective entre les voitures et les humains perdurera encore longtemps », explique Jean-François Salessy de PSA. « À l’occasion du Mondial de l’automobile en 2018, la réaction du public devant le concept car e-Legend de Peugeot a été incroyable ; une réaction due principalement à son apparence. L'esthétique de la voiture reste essentielle. Néanmoins, la façon dont vous interagissez avec elle l’est également. C’est pour cette raison que nous n’avons de cesse d’étudier l'impact du logiciel sur l'ergonomie générale, en visant le meilleur des deux mondes. »

Pour en savoir plus sur les expériences utilisateur pilotées par logiciel, consultez : go.3ds.com/0nj

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