Selon l’Organisation mondiale du commerce, 90% des marchandises transitent par bateau, impliquant la coordination des déplacements de près de 60 000 navires. Une consolidation en profondeur des opérations maritimes a toutefois eu lieu au cours de ces 20 dernières années, à l’initiative de compagnies maritimes telles que le groupe danois A.P. Moller-Maersk, qui exploite près de 1 300 navires dans six secteurs et a réalisé, en 2013, un bénéfice de US$3,8 milliards pour un chiffre d’affaires de US$47,3 milliards.
Si la tendance est aux compagnies maritimes moins nombreuses et plus importantes, c’est en partie en raison de l’effondrement financier mondial de 2008 et d’une forte augmentation des réglementations visant à rendre les navires de commerce moins énergivores et à réduire leur impact environnemental. Ces réglementations, élaborées par l’Organisation maritime internationale (OMI), comprennent l’index d’efficacité énergétique des navires neufs (EEDI), le plan de gestion de l’efficacité énergétique (SEEMP), les zones de contrôle des émissions (ECA) et de nouvelles règles concernant le système de gestion des eaux de ballast (BWTS).
ENTREZ DANS LE NAVIRE « ÉCO »
La capacité de la flotte maritime mondiale a pratiquement doublé au cours des 10 dernières années, passant de 805 millions de tonnes de port en lourd (tpl) en 2004 à 1 519 millions de tpl en 2014, selon le courtier maritime norvégien RS Platou, une capacité qui pourrait tripler d’ici 2024. Sous l’effet du prix élevé du carburant, le Conseil maritime international et baltique (BIMCO) de Bagsværd, au Danemark, observe une tendance marquée à la conception et à la construction de navires plus économes en énergie. L’exploitation de ces « ÉCO » navires est économique mais leur achat est plus onéreux. Ils ont également une capacité de chargement supérieure grâce à de nouveaux concepts de coque, à l’optimisation de la machinerie ainsi qu’à un équipement de surveillance et de contrôle perfectionné.
« Le plus grand changement auquel nous avons assisté a été sans aucun doute le passage à des bateaux plus économes en énergie et plus écologiques », souligne Noboru Ueda, président de la société japonaise de classification ClassNK. « Cela ne fait que quelques années que l’industrie travaille à la conception de bateaux à rendement énergétique supérieur, mais nous constatons déjà des améliorations significatives en termes d’économies d’énergie et de scores EEDI. En outre, de nouvelles technologies de réduction des gaz à effet de serre telles que la lubrification de l’air et de nouvelles peintures à faible friction font tout juste leur apparition pour un usage commercial. »
Maersk, leader sur le marché, a ouvert la voie avec sa classe Triple E (pour « Économie d’échelle, Efficacité énergétique et progrès pour l’Environnement »), une flotte de 20 navires porte-conteneurs parmi les plus grands jamais construits. Ces géants d’une capacité de 18 000 EVP (Équivalent Vingt Pieds) mesurent 400 mètres de long, 59 mètres de large et 73 mètres de haut. 55 000 tonnes d’acier sont nécessaires à la construction de chacun de ces mastodontes, dont le prix est estimé à US$190 millions. Maersk prévoit que ces navires consommeront environ 35% de carburant en moins par conteneur déplacé que les navires de 13 000 EVP de ses concurrents.
« La technologie la plus importante pour rendre un navire économe en carburant, c’est le moteur », déclare Jose Femenia, ancien responsable de l’Ingénierie et directeur du Master of Marine Engineering Program à l’US Merchant Marine Academy, qui travaille actuellement comme consultant auprès d’utiliVisor, société de conseil en énergie basée à New York. « Ce moteur doit être une centrale électrique robuste, de haute qualité, avec une faible consommation de carburant et des exigences raisonnables en matière d’entretien. »
RÉDUCTION DES GAZ À EFFET DE SERRE
La mise en place des réductions d’émissions est progressive et devra être terminée en 2020. Les limites imposées pour le CO2, le NOx, le SOx et les particules étant plus sévères, les propriétaires de bateaux doivent investir dans les nouvelles technologies pour s’y conformer.
Pour les nouveaux navires construits à partir du 1er janvier 2016, le règlement Tier III sur les moteurs exige une réduction de 80% des émissions de NOx. La mise en conformité des limites d’émissions de SOx contraindra les propriétaires de navires à veiller au moindre détail, des systèmes de lubrification au choix du carburant et au traitement des gaz d’échappement.
On comprend la réticence des propriétaires opérant avec une marge étroite. « En tant que directeur général, je prévois d’augmenter les tarifs de fret de 35% pour faire face à l’augmentation sans précédent du prix du combustible de US$400 par tonne métrique », témoigne Rod Jones, PDG du Groupe CSL de Montréal, au Canada, devant le Congrès des États-Unis à propos des ECA (zones de contrôle des émissions) d’Amérique du Nord, en mars 2014.
Tom Crowley, PDG de Crowley Maritime disposant d’une flotte de 200 navires, accepte les réglementations comme partie du coût pour les entreprises. « Notre industrie doit jouer un rôle plus proactif dans la démarche de nettoyage », déclare-t-il au Maritime Professional en 2014. « Ce sera cher et le coût du transport augmentera, mais je suis sûr que tout le monde préfèrera avoir des coûts de transport élevés plutôt que des conséquences négatives sur l’environnement. »
INTERPRÉTATION JURIDIQUE
Les avantages du SEEMP sont eux aussi sujets à controverse. « Le concept de SEEMP est un outil optionnel visant à aider les armateurs à gérer le rendement énergétique de leurs navires », indique Peter Sand, analyste maritime en chef pour le BIMCO. « Les exploitants choisissent toutefois la portée, la taille et le prix de l’outil qu’ils souhaitent mettre en œuvre. Aucun système n’est conçu pour fonctionner avec l’ensemble des navires.»
Comme l’explique P. Sand, tous les bateaux doivent être dotés d’un SEEMP, mais ni les administrateurs ni les autorités de contrôle de l’État du port ne peuvent vérifier que les directives de l’OMI sont respectées ou qu’un navire applique son plan. « Les pouvoirs de contrainte se limitent à la vérification de l’existence d’un SEEMP », précise-t-il. « En outre, la présence d’un SEEMP est attestée par la délivrance d’un certificat international de rendement énergétique (IEE) émis pour toute la durée de vie du navire, sans contrôle. »
« L’ARMATEUR PRUDENT SURVEILLAIT SA CONSOMMATION ÉNERGÉTIQUE BIEN AVANT LA MISE EN PLACE DES RÉGLEMENTATIONS. »
ROBERT KUNKEL
PRÉSIDENT, ALTERNATIVE MARINE TECHNOLOGIES
Cependant, appliquer un SEEMP améliorera la performance, J. Femenia en est convaincu. « Les possibilités d’amélioration varient fortement selon le navire et le propriétaire », explique-t-il. « Par exemple, pour un navire ayant une charge hôtelière très importante, comme un bateau de croisière ou un porte-conteneurs portant des conteneurs frigorifiques, j’ai constaté qu’il est généralement possible de gagner de 1% à 3% en efficacité énergétique, ce qui représente une somme non négligeable. »
Robert Kunkel, président d’Alternative Marine Technologies, pense que les prix élevés des carburants font déjà le travail du SEEMP. « L’armateur prudent surveillait sa consommation énergétique bien avant la mise en place des réglementations », remarque-t-il.
DES COÛTS CACHÉS
R. Kunkel est convaincu que les nouvelles technologies de l’énergie permettront d’aller plus loin. « Si vous voulez réduire votre consommation de carburant et vos émissions, ne faites pas tourner vos moteurs. L’énergie des batteries et les systèmes hybrides vous en donneront la possibilité. »
L’entreprise de R. Kunkel a supervisé entre autres la construction de navires-citernes commerciaux « ÉCO » modernes sur le site de Hyundai Heavy Industries, en Corée. La réduction de la consommation de carburant et des émissions des navires peut ajouter de 20% à 25% au coût d’un bateau, observe-t-il. « Mais ce que tout le monde doit comprendre, c’est que le constructeur et le concepteur du navire ajoutent près de 20%-25% de responsabilité face aux risques, parce qu’ils travaillent avec de nouveaux systèmes qu’ils n’ont pas installés, ce qui peut causer des retards de production et de livraison. »◆
EEDI (Energy Efficiency Design Index) : L’index d’efficacité énergétique des navires neufs est un mécanisme basé sur la performance. Il exige des bateaux qu’ils atteignent un certain taux d’efficacité énergétique, mais laisse le choix des technologies au propriétaire/à l’armateur. En vigueur depuis le 1er janvier 2013. SEEMP (Ship Energy Efficiency Management Plan) : Le plan de gestion de l’efficacité énergétique établit un processus visant à l’amélioration par les armateurs du rendement énergétique des navires. En vigueur depuis le 1er janvier 2013. ECA (Emission Control Areas) : Les zones de contrôle des émissions établissent les niveaux d’émissions autorisés pour les navires en fonction de la zone où ils opèrent. La Baltique, l’Europe et l’Amérique du Nord ont les exigences les plus sévères. BWTS/BWM (Ballast Water Treatment Systems / Ballast Water Management) : Système de gestion des eaux de ballast. Considéré comme le nouvel équipement naval le plus onéreux jamais proposé, avec un coût estimé de US$2 millions à US$3 millions par navire. Le règlement final est en attente.GUIDE DES ACRONYMES