Ali A. Mufuruki est convaincu que le pouvoir africain a besoin d’une révolution. Le Tanzanien, qui compte parmi les chefs d’entreprise africains les plus aguerris, parle d’expérience. « Selon moi, le problème sous-jacent au chaos qui règne en Afrique est un mauvais exercice du pouvoir », affirme-t-il. « Les Africains sont déçus par leurs élites. Si nous voulons que nos enfants aient une vie meilleure, plus digne que la nôtre, nous devons en faire plus. »
A. Mufuruki ne mâche pas ses mots. Il ne craint pas d’adopter des positions controversées et bousculer l’opinion publique. Dans son récent éditorial intitulé « Les leaders africains qui estiment les Africains incapables de grandes choses doivent partir ! », il s’adresse à un ministre qu’il soupçonne de favoriser les entreprises étrangères au détriment de l’industrie locale.
Sara Menker, ancienne négociante en matières premières à New York, aujourd’hui associée à A. Mufuruki au sein d’un cabinet de conseil énergétique Gro-Energy, à Nairobi, Kenya, estime que l’homme d’affaires se distingue par sa capacité à conserver le respect des personnes qu’il critique.
S’il est conscient des défauts de l’Afrique, A. Mufuruki est également l’un des plus fervents supporters du continent. Il a récemment déclaré aux délégués présents lors d’une conférence organisée par la banque d’investissement américaine Goldman Sachs que lorsque les analystes étrangers se pencheront davantage sur les marchés africains, ils découvriront que « l’Afrique offre au monde des possibilités d’investissements bien plus importantes qu’on ne l’aurait cru ».
UN INVESTISSEUR AVISÉ
A. Mufuruki, PDG de son entreprise familiale, Infotech Investment Group Limited, a des participations dans de nombreuses entreprises de distribution, de télécommunications et d’information dans l’est africain. Il a fondé East Africa Capital Partners à Nairobi, connu pour ses investissements dans des entreprises ; il a cofondé Gro-Energy, qui conseille les entreprises et les gouvernements sur la gestion des puits de gaz et de pétrole découverts récemment en Afrique de l’Est ; et il préside Wananchi Holdings, propriétaire de l’un des plus importants réseaux de télévision câblée d’Afrique de l’Est.
« Nous contribuons à l’émergence d’une nouvelle génération de dirigeants africains. »
ALI A. MUFURUKI
PDG, Infotech investment Group
Après une formation d’ingénieur en Allemagne, A. Mufuruki débute sa carrière chez Daimler Benz. De retour en Tanzanie, il intègre la National Engineering Company, où il est cadre jusqu’en 1989, année de création de son entreprise d’informatique. Lors de la crise de l’industrie informatique dans les années 90, il s’intéresse au commerce. Il possède aujourd’hui la chaîne de magasins Woolworth dans l’est africain, ainsi que la franchise régionale pour les jeans Levi’s. Avec ses partenaires, il recueille également US$350 millions, essentiellement auprès d’investisseurs américains, pour lancer Zuku, qui fournit à l’Afrique de l’Est un accès à la télévision par satellite et à Internet par fibre optique. Par ailleurs, il possède des actions dans le marché de la publicité sur cette région.
UN GARDE-FOU ANTI-SOCIALISTE
A. Mufuruki, qui vante les bienfaits du capitalisme, craint que certains pays africains ne sombrent dans le socialisme, alors que les ressources minérales du continent remplissent les coffres des gouvernements. « Maintenant que nous contrôlons ces ressources, on croit pouvoir revenir à une économie d’État », déplore-t-il. « On pense ne plus avoir besoin des investissements étrangers, pas plus que de capitaux. C’est une erreur fatale. »
Ainsi, son pays natal, qui a longtemps connu le joug du socialisme exercé par le défunt président Julius Nyerere, n’est revenu à une économie de marché qu’après avoir connu la faillite. « Maintenant, le peuple veut revenir en arrière », se lamente-t-il. « Pour moi, ce n’est jamais qu’une bande de politiciens qui veut rester au pouvoir à vie. Mais ça ne durera pas. » Il souligne que le Kenya et l’Ouganda courtisent les investisseurs étrangers et se montrent plus pragmatiques sur le plan économique.
ANCRÉ DANS LA TRADITION
La foi d’Ali Mufuruki dans le capitalisme à l’occidentale n’a d’égal que sa dévotion aux traditions locales. Tous les ans, il revient dans son village natal, comme en pèlerinage. « La sérénité des lieux, loin de la chaleur, du bruit et de l’effervescence de la ville, m’aide beaucoup », avoue-t-il. « Cela me donne l’impression de me retrouver à nouveau sur la terre ferme. Cela m’inspire. J’ai l’impression qu’ici, je pense plus clairement que nulle part ailleurs. »
Caitlin Colegrove est responsable de la communication et des réseaux à l’institut Aspen, une prestigieuse fondation basée à Washington, DC, dédiée à l’éducation et à la tête d’un réseau de leadership mondial. Elle déclare qu’il est rare que des leaders internationaux gardent un lien avec leur passé. « Ali est à la fois un leader mondial et farouchement attaché à ses origines. Il émane de lui une authenticité et une crédibilité qui viennent de ses racines. »
Selon A. Mufuruki, le plus grand défi que les entreprises africaines doivent relever aujourd’hui est le manque d’infrastructures, en particulier l’électricité. « Cela empêche souvent une entreprise de faire des bénéfices », souligne-t-il. De plus, de nombreuses entreprises manquent de personnel qualifié pour occuper des postes de cadres.
Capitaliste affirmé, il croit pourtant que les entreprises doivent défendre une éthique et des valeurs solides, « parce que sans cela, la vie n’a aucun sens ». En voyant la violence qui règne en ce moment en Afrique, par exemple au nord du Nigeria, en République centrafricaine et au Soudan du Sud, il déplore la persistance d’une corruption généralisée et d’une pauvreté endémique.
FORMER LES LEADERS AFRICAINS
Pour A. Mufuruki, les problèmes de l’Afrique viennent tous d’un mauvais exercice du pouvoir. Pour lutter contre cela, il a cofondé une organisation appelée African Leadership Initiative, qui aide à former la future génération de dirigeants africains. La promotion actuelle de 20 hommes et femmes venus de Tanzanie, d’Ouganda, du Kenya et du Rwanda se compose à 80% de chefs d’entreprises. Le groupe se retrouve quatre fois sur deux ans et rencontre les représentants d’initiatives du monde entier pour découvrir ce qui fonctionne dans d’autres régions et ce qui est problématique.
« Nous contribuons à l’émergence d’une nouvelle génération de dirigeants africains efficaces, instruits, éclairés et porteurs de valeurs », conclut A. Mufuruki.
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