Princess Cruises, une société du groupe Carnival Corporation, s'est fixé un objectif ambitieux : donner à chaque client l'impression que sa croisière a été spécialement conçue pour répondre à ses besoins et préférences personnels.
Pour ce faire, Princess expérimente sa technologie Medallion sur des clients à bord du Regal Princess. Dans le cadre du programme, des passagers sélectionnés se voient remettre un médaillon qui interagit avec des milliers de capteurs lorsqu'ils déambulent autour du navire et dans certains ports de croisière. Les médaillons capturent en temps réel des données sur le comportement des passagers, qui sont ensuite utilisées par Princess pour fournir une expérience personnalisée.
« Les expériences hyper-personnalisées sont uniques, riches en émotions et mémorables. Ocean Medallion utilise les données et la plate-forme xIoT (Experience Internet of Things) pour apprendre activement les besoins, souhaits et désirs de chaque passager afin de générer des "génomes de passagers" en constante évolution », explique John Padgett, directeur de l'expérience et de l'innovation de Carnival Corporation. « Ces génomes fourniront à l'équipage les informations vitales dont ils ont besoin pour inviter proactivement les passagers à des expériences qui correspondent à leurs désirs. »
Le programme Ocean Medallion fait figurer Carnival Corporation parmi un nombre croissant d'entreprises qui explorent l'hyper-personnalisation. Environ 80 % des consommateurs sont plus susceptibles de choisir des sociétés qui proposent des expériences personnalisées en temps réel, révèle l'agence de marketing global Epsilon dans son rapport de 2017 intitulé « The Power of Me: The Impact of Personalization on Marketing Performance ». Mais jusqu'où les sociétés peuvent-elles aller dans la personnalisation sans porter atteinte à la vie privée des consommateurs ?
PLUS QU'UN MOT À LA MODE
« La plupart des entreprises sont focalisées sur la maximisation de l'efficacité opérationnelle pour augmenter leurs profits, elles offrent donc des expériences clients "taille unique" », explique Blake Morgan, futurologue de l'expérience client, écrivaine et conférencière. « Mais les clients veulent des interactions personnalisées parce qu'ils n'en peuvent plus de perdre du temps à regarder des annonces qui ne les concernent pas et à lire des recommandations de produits insignifiantes. Le temps des clients est précieux, aussi sont-ils plus susceptibles d'être fidèles à des entreprises qui les respectent en offrant des expériences hyper-personnalisées qui sont pertinentes pour eux. »
Alors que 96 % des spécialistes du marketing reconnaissent les avantages de l'hyper-personnalisation pour l'entreprise comme pour les clients, 30 % à peine déclarent offrir de bonnes expériences personnalisées, relèvent le cabinet de recherche et de conseil Researchscape International et l'éditeur de logiciels de personnalisation Everages en 2017. Les entreprises rencontrent toutes le même obstacle, celui de ne pas disposer de la technologie permettant de capturer et d'analyser de multiples sources de données afin de former une « vérité universelle » sur chaque client, qui évolue au même rythme que ses préférences en constante évolution.
« Auparavant, les sociétés utilisaient des éléments d'information sur le comportement passé des clients afin de personnaliser l'expérience. Désormais, ils font appel à l'intelligence artificielle (IA), à l'Internet des Objets (IoT), à l'apprentissage automatique, à l'apprentissage approfondi, et aux outils analytiques », détaille ShiSh Shridhar, responsable commerce de détail pour les données et l'analytique de Microsoft. « L'apprentissage automatique et l'IA permettent aux entreprises de détecter des modèles et des liens entre les éléments de données séparés qu'elles recueillent afin de pouvoir comprendre les facteurs qui conduisent chaque client à utiliser leurs services ou à acheter leurs produits. Elles peuvent ensuite se servir de ces éclairages pour "hyper-personnaliser" des interactions en temps réel. »
Le service de divertissement en streaming Netflix, par exemple, utilise l'apprentissage approfondi pour suggérer des films et des séries TV à ses abonnés en fonction de leur comportement et de leurs préférences de visualisation. Netflix peut ainsi augmenter la valeur des titres bon marché et donc économiser un montant estimé à 1 milliard de dollars en dépenses de contenu.
Pendant ce temps, le service de streaming de musiques, podcasts et vidéos Spotify a augmenté le nombre de ses abonnés payants de 30 millions en 2016 à 71 millions en 2018 en utilisant l'IA et l'apprentissage approfondi afin de fournir à chaque utilisateur des listes de lecture quotidiennes et hebdomadaires uniques qui sont hyper-personnalisées pour refléter leurs préférences et leur comportement d'écoute. Spotify a même fait équipe avec Nike pour créer des playlists de morceaux dont les rythmes correspondent aux cadences de course des utilisateurs.
LUTTER CONTRE LA CRAINTE DU PARTAGE DES DONNÉES
À la suite des révélations concernant la vente par des grandes entreprises telles que Facebook et Google, des données de clients à des tiers à leur insu ou sans leur consentement, certains consommateurs sont de plus en plus réticents à partager leurs données personnelles. La société de recherche sur la technologie et les médias Tech.pinions, par exemple, a constaté que près de 10 % des utilisateurs américains de Facebook ont supprimé leurs comptes rien qu'en 2018.
Cependant, 66 % des consommateurs seraient prêts à partager des informations personnelles si elles étaient sécurisées et s'ils obtenaient quelque chose en échange, rapporte Accenture Strategy dans son étude de 2017 intitulée « Exceed Expectations with Extraordinary Experiences ».
« Les entreprises doivent être complètement transparentes au sujet des informations qu'elles recueillent et de l'utilisation qu'elles en feront pour générer de la valeur pour les clients », déclare ShiSh Shridhar. « Par exemple, les clients ne voient pas d'inconvénient à partager en permanence des données de localisation et de paiement avec la société de covoiturage Uber parce qu'ils savent qu'ils trouveront une voiture libre en l'espace de quelques minutes, alors que le processus serait plus long et moins pratique s'ils ne le faisaient pas. »
PLACER LES CLIENTS AUX COMMANDES
Selon Blake Morgan, lorsque les clients partagent des données, ils devraient aussi avoir le choix d'accepter ou de refuser l'hyper-personnalisation. « Pour être pertinentes et générer de la valeur, les marques doivent savoir exactement ce que chaque individu veut ou ne veut pas recevoir de leur part », explique-t-elle.
« Par exemple, nombreux sont ceux qui trouvent anormal que des publicités de marque se glissent dans leur fil d'actualité sur Facebook. En faisant le nécessaire pour qu'ils puissent les refuser facilement, les sociétés peuvent créer une activité dirigée par l'expérience qui s'adapte en temps réel aux différents niveaux de confort des clients. » Carnival Corporation, quant à elle, récolte les avantages qu'il y a à laisser les clients choisir et contrôler le partage de leurs données personnelles en échange d'expériences hyper-personnalisées.
« Notre expérience de croisière Ocean Medallion se concentre sur le partage par les clients de leurs informations, mais ils sont incroyablement motivés pour le faire parce qu'ils constatent que les éclairages issus de leurs données sont réinvestis à leur profit en tant qu'individus uniques », souligne John Padgett. « La solution consiste à concevoir tous les éléments de l'hyper-personnalisation pour avantager spécifiquement le client et permettre à chacun de choisir son niveau de participation - personne à bord n'est obligé de vivre une croisière connectée. »