Pour répondre à la diminution de la taille des appareils de l'Internet des Objets (IoT), les fabricants de semi-conducteurs cherchent à rendre leurs produits plus petits, plus puissants, plus économes en énergie et fiables. La recherche d'alternatives au silicium apparaît de plus en plus comme une solution. Dans ce domaine, les nanomatériaux semblent être les candidats les mieux placés.
Décrits sommairement comme des matériaux de quelques milliardièmes de mètre, les nanomatériaux sont plus rapides, plus légers et plus économes en énergie que le silicium.
« Les semi-conducteurs en silicium d'aujourd'hui appartiennent déjà au domaine de la nanotechnologie — leur taille caractéristique est aussi petite que 10 nanomètres », explique Aravind Vijayaraghavan, chargé de cours sur les nanomatériaux à l'Université de Manchester au Royaume-Uni. « Certains nanomatériaux, comme les nanotubes, les nanofils et les nanoparticules, sont pressentis pour différentes applications dans la technologie des semi-conducteurs. »
« Il est essentiel d'identifier des alternatives pour développer la prochaine génération de semi-conducteurs », souligne Raman Chitkara, directeur du département Global Technology Industry du réseau de services professionnels PwC.
« De la digitalisation et de l'Internet des Objets naissent de nouvelles idées disruptives, notamment avec la fabrication intelligente, les voitures autonomes, les drones, la réalité augmentée et virtuelle, les robots et de nouvelles formes d'intelligence artificielle — et les semi-conducteurs en seront des éléments essentiels parmi d'autres innovations technologiques majeures », précise-t-il.
DES SEMI-CONDUCTEURS À L'ÉCHELLE NANOMÉTRIQUE
Les nanotubes de carbone (NTC) — des tubes cylindriques creux constitués d'atomes de carbone d'un diamètre de 1 nanomètre et plus solides que l'acier — constituent une alternative prometteuse pour les semi-conducteurs. Bien que les CNT soient 10 000 fois plus fins qu'un cheveu, leur structure unique — une vaste surface par rapport à leur dimension microscopique — leur permet de transporter le courant à des vitesses extrêmement élevées et de détecter les changements électriques avec davantage de précision que les transistors en silicium.
« La demande de CNT est actuellement très forte », déclare Andrew McWilliams, analyste de recherche au sein du cabinet d'études de marché BCC Research, basé à Wellesley, dans l'État du Massachusetts. « La propriété la plus intéressante des nanotubes de carbone du point de vue des semi-conducteurs est leur conductivité électrique extrêmement élevée. Par ailleurs, la conductance thermique extrêmement élevée des nanotubes permet d'éviter l'accumulation excessive de chaleur associée aux semi-conducteurs. »
Par exemple, en 2016, une équipe à l'Université du Wisconsin-Madison a annoncé qu'elle avait mis au point un transistor CNT capable de supporter un courant électrique 1,9 fois supérieur à celui d'un transistor en silicium comparable. L'équipe a prédit que les transistors CNT seraient jusqu'à cinq fois plus rapides, ou qu'ils utiliseraient cinq fois moins d'énergie que les transistors en silicium.
« Ce niveau de performances du transistor en nanotube de carbone représente une avancée essentielle vers l'exploitation des tubes CNT dans les communications à haute vitesse et d'autres technologies électroniques des semi-conducteurs », explique Michael Arnold, professeur de sciences des matériaux et d'ingénierie à l'université, dans un article publié dans Science Advances.
Autres matériaux prometteurs : les multiferroïques, qui sont à la fois magnétiques et ferroélectriques, avec une polarisation électrique réversible. Ils ont le potentiel d'améliorer la fonctionnalité des appareils, grâce à la nature particulière des « ondes de spin » associées à la polarisation dans ces matériaux.
« Les matériaux fonctionnels, c'est-à-dire magnétiques, ferroélectriques, multiferroïques, en 2D, vont être de plus en plus intégrés, parce qu'ils apportent suffisamment de nouvelles capacités aux appareils pour qu'il vaille la peine de relever les défis de fabrication liés à l'introduction d'un nouveau matériau », explique Caroline Ross, directrice associée du département de science et d'ingénierie des matériaux de l'Institut de technologie du Massachusetts (MIT) à Cambridge, Massachusetts. Elle se spécialise dans les matériaux magnétiques et les nanotechnologies.
TROUVER DES CANDIDATS VIABLES
L'identification des nanomatériaux susceptibles d'être utilisés comme semi-conducteurs requiert une somme considérable de recherche, de ressources et d'argent. Cependant, la simulation virtuelle et des logiciels de conception peuvent se révéler des outils rentables pour aider les chercheurs à modéliser et prédire rapidement le comportement des différents matériaux à l'échelle nanométrique, identifier les options réalisables et créer de nouvelles règles de conception pour les intégrer dans des semi-conducteurs.
Ainsi, des chercheurs du laboratoire national d'Argonne du Département américain de l'énergie de Lemont, dans l'Illinois, ont utilisé un modèle informatique pour simuler la croissance et les propriétés de conductivité électrique du silicium 2D, et l'ont rapidement écarté en tant que candidat. Le modèle a progressé depuis, et a permis aux chercheurs d'explorer rapidement les propriétés semi-conductrices d'autres matériaux 2D.
« Essentiellement, nous avons pratiqué des "expériences" virtuelles pour optimiser différentes variables, pour un coût beaucoup plus faible qu'en laboratoire », déclare Badri Narayanan, spécialiste des matériaux du laboratoire d'Argonne et auteur principal, le jour de la publication de l'étude. « À présent, nos homologues pourront éviter beaucoup de tâtonnements en laboratoire. Au lieu de cela, ils pourront mener leur expérimentation en utilisant l'ensemble des conditions optimisées prédit par notre modèle pour mieux obtenir les structures et propriétés qu'ils désirent. »
FABRICATION DE NOUVEAUX MATÉRIAUX
La fabrication additive, ou impression 3D, est prometteuse pour l'ingénierie des structures complexes des nanomatériaux. Cependant, les progrès ont été lents jusqu'ici, car les performances positives et les propriétés structurelles des nanomatériaux sont difficiles à maintenir lorsqu'ils sont réduits à un niveau acceptable pour être utilisés dans les semi-conducteurs.
Cependant, une avancée réalisée en juillet 2016 par une équipe de l'Institut polytechnique et de l'Université d'État de Blacksburg, en Virginie, a produit des nanostructures métalliques flexibles et légères qui possèdent une bonne conductivité électrique. À l'aide du traitement digital de la lumière, l'équipe a réussi à agrandir ses modèles jusqu'à une taille utilisable.
Les observateurs de l'industrie ont suggéré que ce processus pourrait, à l'avenir, être appliqué à des matériaux monoatomiques 2D comme le graphène — le plus mince et le plus solide matériau connu — facilitant ainsi sa production en masse. Bien que le graphène soit souple, transparent, peu coûteux à produire et doué d'une haute conductivité thermique et électrique, les chercheurs doivent trouver le moyen d'introduire une bande interdite (« band-gap », écart entre la bande de valence des électrons et la bande de conduction) dans le matériau afin de le transformer en semi-conducteur.
« Le graphène n'est pas un semi-conducteur classique, et il ne remplacera pas directement le silicium, mais les nouveaux transistors à effet tunnel combinant le graphène à d'autres matériaux 2D pourraient remplacer les appareils en silicium, » explique Aravind Vijayaraghavan de l'Université de Manchester. « D'autres matériaux 2D similaires au graphène et possédant une bande interdite pourraient également être utilisés pour fabriquer des circuits électroniques. Le Graphene Flagship, doté d'un budget d'un milliard d'euros — consortium université-industrie de l'Union européenne pour la recherche sur le graphène — est la plus grande initiative conjointe et coordonnée dans ce domaine. Au-delà des puces informatiques classiques, le graphène pourrait être utilisé dans l'informatique quantique, mais la recherche n'en est encore qu'à ses débuts. »
Le graphène est un matériau relativement nouveau, mais les chercheurs ont rapidement exploité ses qualités. Par exemple, l'Université norvégienne de sciences et de technologie a fait croître des nanofils semi-conducteurs sur du graphène pour créer un matériau hybride, d'un micromètre d'épaisseur, susceptible d'agir comme semi-conducteur dans les cellules solaires, les composants LED, les capteurs et les batteries.
D’après Caroline Ross, du MIT, l'un des obstacles majeurs pour avancer dans l'ingénierie des semi-conducteurs avec de nouveaux nanomatériaux comme le graphène est la difficulté à les intégrer dans les procédés de fabrication actuels. « Même les matériaux dont les propriétés sont manifestement bonnes doivent être produits d'une manière compatible avec le silicium, omniprésent dans l'industrie », déclare-t-elle.
L’ENCRE REVISITÉE
Aujourd'hui, le graphène est utilisé pour produire des encres conductrices qui peuvent être imprimées en 3D, permettant aux fabricants d'intégrer des semi-conducteurs et des circuits électriques dans les appareils IoT. En août 2017, par exemple, l'Université de Manchester a dévoilé un système flexible, semblable à une batterie, qui peut être sérigraphié directement sur des textiles lavables avec une encre conductrice à base d'oxyde de graphène.
« La mise au point d'un supercondensateur textile flexible à base de graphène à partir d'une technique d'impression simple et évolutive est un grand pas en avant vers la réalisation de vêtements intelligents multifonctionnels de nouvelle génération », avait prédit Nazmul Karim, membre du groupe d’échange de connaissances de l'Institut national britannique du graphène et co-auteur de la recherche, au moment de l'émergence de cette technologie, « qui donnera la possibilité de fabriquer des textiles intelligents respectueux de l'environnement et rentables, capables de stocker de l'énergie tout en surveillant l'activité et la condition physiologique de l'utilisateur ».
L'utilisation d'encre à base de graphène dans les antennes d'identification par radiofréquence (RFID) est un autre secteur prometteur pour les applications IoT. « Si nous pouvons commercialiser des encres à base de graphène adaptées à l'impression de l'ensemble de l'étiquette RFID, elles pourraient occuper une place de choix en termes de coût, de conductivité et d'autres propriétés et se tailler la part du lion sur le marché des encres conductrices », indique Andrew McWilliams, de BCC.
UN AVENIR SANS SILICIUM ?
Malgré les premiers signes de réussite et le développement rapide de la nanotechnologie, l'adoption des semi-conducteurs en nanomatériaux dans des appareils traditionnels ne se fera pas avant au moins une dizaine d'années.
« Le principal obstacle à l'innovation dans les matériaux semi-conducteurs est le coût que devra engager l'industrie des circuits intégrés pour introduire de nouveaux matériaux semi-conducteurs et les nouveaux équipements et technologies correspondants », souligne Luo Jun, professeur au centre de traitement avancé des circuits intégrés de l'IMECAS (Institut de microélectronique de l'Académie chinoise des sciences).
« Nous devons trouver des solutions », affirme Raman Chitkara de PwC.« Nous ne pouvons pas progresser vers une planète hyperconnectée où les gens et les appareils peuvent communiquer entre eux à des vitesses de plus en plus élevées, avec une plus grande fiabilité et à des coûts qui baissent rapidement sans innovation continue dans le secteur des semi-conducteurs. »
Comment créer la base de l'électronique nouvelle génération grâce à la conception virtuelle
http://3ds.one/HPS_MO