Qu'est-ce que les ailes de papillon, les embruns, les tissus infroissables et la crème solaire ont en commun ? Tous sont constitués de nanomatériaux, des particules de très petite taille.
Conductivité, réactivité chimique, résistance accrue… Les nanomatériaux présentent des caractéristiques différentes par rapport à un même matériau de plus grande taille. Grâce à leurs propriétés uniques, ils offrent de nouvelles opportunités à différentes industries comme la mode, la santé ou l'automobile, qui les utilisent dans de nombreux produits.
Nous connaissons déjà bien les caractéristiques des nanomatériaux naturels ou des sous-produits de processus industriels. Mais pour ce qui est du comportement des nanomatériaux manufacturés, nos données sont plus limitées. Il est donc particulièrement difficile d'évaluer les risques potentiels pour la santé de ces nanomatériaux – et des produits finaux dans lesquels ils sont utilisés.
RISQUES POTENTIELS
Il est difficile de prévoir la manière dont les nanomatériaux interagissent avec le corps et nos cellules. Dans certains cas, il est possible que des effets indésirables se produisent. Par exemple, les particules peuvent potentiellement causer des dommages si elles sont inhalées, car leur petite taille leur permet de pénétrer dans les cellules. Quant à l'absorption de particules par la peau, elle ne présente a priori aucun risque à l'heure actuelle.
Bien qu'il soit peu probable que les consommateurs inhalent des particules, les nanomatériaux toxiques pourraient quant à eux présenter un risque pour les collaborateurs impliqués dans le processus de fabrication.
« Les nanomatériaux sont si petits que nous avons des difficultés à les gérer. C'est d'ailleurs l'un des principaux défis que nous devons relever pour évaluer leurs risques », déclare Claire Skentelbery, directrice générale de la Nanotechnology Industries Association. « Ces caractéristiques qui les rendent uniques – comme une réactivité accrue – les rendent également plus complexes à comprendre, car les nanomatériaux se comporteront différemment en fonction de leur utilisation. »
Pour atténuer leurs risques potentiels, les nanomatériaux sont encadrés par un ensemble de réglementations strictes au sein de l'Union européenne (UE). Conformément aux réglementations européennes REACH et CLP, ceux qui souhaitent fabriquer ces matériaux pour les utiliser dans des produits vendus à travers l'UE doivent soumettre toutes les informations nécessaires concernant leurs effets indésirables sur la santé et l'environnement, mais également indiquer la manière dont il est possible de maîtriser ce risque potentiel. Compte tenu de la complexité des tests de nanomatériaux actuellement, ce processus peut s'avérer long et coûteux.
UNE APPROCHE MÉCANISTE
Pour aider à rationaliser les tests de toxicité, l'UE a financé le projet SmartNanoTox à travers le programme Horizon 2020, une collaboration entre des universités et l'industrie. Le projet développe une approche de dépistage de la toxicité des nanomatériaux, en tenant compte des mécanismes sous-jacents susceptibles de les rendre dangereux.
« Nous adoptons une approche mécaniste de bout en bout », déclare Vladimir Lobaskin, chef de projet dans le cadre de SmartNanoTox et professeur associé à l'University College Dublin. « Et par approche mécaniste, nous entendons la possibilité de suivre tous les événements qui se produisent entre le premier contact et les effets indésirables. Sur le plan biologique, nous suivons les mécanismes de ces effets afin de comprendre la suite de liens causaux qui provoquent des dommages cellulaires. Enfin, d'un point de vue physico-chimique, nous cherchons à identifier toutes les interactions moléculaires susceptibles de déclencher la réponse biologique. Bien qu'inhabituelle, cette approche fait toute la particularité de notre projet. »
Une fois que nous avons terminé cette étape d'analyse détaillée, nous utilisons les données collectées afin d'établir un lien entre le mécanisme d'un effet indésirable et la propriété qui le déclenche.
« L'avantage de notre approche ? Elle est extensible », ajoute-t-il. « Une fois que nous avons identifié les propriétés dangereuses, nous pouvons alors évaluer d'autres nanomatériaux pour ces mêmes propriétés particulières. Nous n'avons pas besoin de recommencer tout à zéro, car nous sommes capables de prévoir les similitudes entre différents matériaux grâce à des modèles avancés qui fonctionnent sur la base d'algorithmes de machine learning. Si nous avons la possibilité de tester la capacité d'un matériau à déclencher le premier événement des mécanismes que nous avons identifiés, alors nous conclurons d'après nos prévisions à un effet indésirable. »
Une fois les mécanismes cartographiés, il est possible de regrouper et de classer les matériaux en fonction de leur capacité à déclencher certains types d'effets. Cette méthode permet de prédire la toxicité de tout nouveau nanomatériau sur la base d'une analyse des propriétés potentiellement dangereuses. Autre avantage : le processus est plus efficace et plus abordable que les tests complets et personnalisés que nous réalisons actuellement.
« En soutenant des projets comme SmartNanoTox, l'UE souhaite optimiser les prévisions en amont et sécuriser la conception de nanomatériaux. »
Claire Skentelbery
Directrice générale de la Nanotechnology Industries Association
Pour permettre à un nanomatériau de pénétrer dans une cellule, l'une des méthodes consiste à adhérer à la membrane cellulaire et à la faire se plier et s'enrouler autour de la particule étrangère. Mais pour ce faire, il est essentiel que l'énergie d'adhésion soit suffisante. Grâce à la simulation du processus, l'équipe du projet SmartNanoTox a créé une méthode capable d'identifier les énergies d'adhésion entre la membrane et la surface d'un nanomatériau, et de prédire si le matériau pourra pénétrer dans une cellule.
LES AVANTAGES DE LA CLASSIFICATION
En développant un système de classification plus rapide et plus efficace, le projet SmartNanoTox espère offrir aux entreprises qui souhaitent utiliser des nanomatériaux davantage de certitudes dans le cadre du développement de leurs produits.
« En soutenant des projets comme SmartNanoTox, l'UE souhaite optimiser les prévisions en amont et sécuriser la conception de nanomatériaux », déclare Claire Skentelbery. « Plutôt que d'arriver à la fin de la conception, de tester le produit et de découvrir qu'il n'est pas bon ni pour la santé ni pour l'environnement, vous pouvez désormais prévoir ces étapes en amont du processus. Vous aurez ainsi davantage confiance dans les produits que vous développerez sur le marché, à moindre coût. Grâce à cela, vous pourrez également les commercialiser plus rapidement et augmentez ainsi le nombre d'applications potentielles. »
Pour Vladimir Lobaskin, nous pourrions même aller plus loin que l'identification du niveau de toxicité en appliquant cette nouvelle approche à d'autres utilisations. Si ce processus nous permet de prévoir les risques potentiels d'un nanomatériau, alors il pourrait également nous aider à identifier la manière dont nous pourrions optimiser son utilisation.
« Cette même approche fonctionne très bien pour améliorer des fonctionnalités », déclare-t-il. « Ici, nous essayons de relier une propriété spécifique à un résultat quantifiable. Imaginez par exemple si nous avions la possibilité d'administrer un traitement à une cellule via l'utilisation de nanomatériaux. Grâce à cette approche, nous serions capables d'identifier le matériau qui permettrait de maximiser la quantité de médicament à administrer. L'approche est donc aussi extensible de ce point de vue-là, car elle peut aussi être utilisée pour optimiser les matériaux et leur fonctionnalité.
En cas de succès, le projet SmartNanoTox pourrait révolutionner l'utilisation des nanomatériaux. Les entreprises peuvent donc dire adieu à un processus complexe et chronophage pour tester la toxicité globale des nanomatériaux, et commencer à exploiter pleinement le potentiel de leurs propriétés uniques, tout en ayant la garantie que les produits qu'elles fabriquent seront à la fois sûrs et efficaces.