Un soldat, bien installé dans son véhicule militaire, regarde à peine le paysage désertique défiler devant lui. Tout d’un coup, le chaos, une explosion détruit la route en libérant une épaisse fumée noire.
Ce n’est pas la première fois que le soldat vit cette scène, mais cette fois-ci le véhicule, le paysage et l’explosion ne sont pas réels. En effet, il se trouve en sécurité dans un cabinet médical et porte un casque de réalité virtuelle. Ce procédé mis au point à l’université de Californie du Sud, par les chercheurs de l’Institute for Creative Technologies, fait partie d’un traitement contre l’état de stress post-traumatique (ESPT).
Presque du jour au lendemain, des nouvelles applications de la réalité augmentée (RA), de la réalité virtuelle (RV) et de la réalité mixte (RM), regroupées sous le concept plus général de virtualité immersive (Vi), sont apparues dans tous les secteurs. « Toutes les industries sont concernées », affirme David Weinstein, directeur de la RV pour les entreprises chez Nvidia.
Tandis que ce casque de RV aide un soldat à guérir de son traumatisme, sur la côte Est, une consommatrice revêt un casque semblable pour essayer les différentes options et accessoires de son automobile idéale (dont la plupart ne seraient pas disponibles en magasin), avant d’effectuer son achat. Sans quitter leur maison, un couple achète de nouveaux meubles et examine l’emplacement de leur canapé, au sein d’un modèle de leur salon en RV. Dans une usine, un ouvrier étudie, à l'aide de lunettes de réalité augmentée, une gamme complexe de composants puis les assemble en suivant les instructions qui s’affichent dans son champ de vision.
« La RV révolutionne des domaines entiers de la vie quotidienne, comme la médecine, l’architecture, l’éducation, la conception de produits et le commerce de détail. NVIDIA s’est spécialisé dans la création de solutions pour les entreprises et les développeurs de ces domaines, afin de leur garantir un meilleur niveau de performance, de réalisme graphique et d’immersion. Ils peuvent ainsi intégrer de façon harmonieuse la RV dans leurs processus de conception et de production. »
LA RÉALITÉ VIRTUELLE À MATURITÉ
En juillet 2015, le cabinet d’études Gartner indiquait, dans son analyse annuelle « Hype Cycle » relative aux technologies émergentes, que la RA et la RV avaient atteint le « creux de désillusion », une situation qui survient lorsque les technologies surmédiatisées ne répondent pas aux attentes. Ce résultat, loin d’être négatif, indiquait que ces technologies seraient bientôt à l’origine d’une forte productivité, dès que les entreprises auraient acquis suffisamment d’expérience dans ce domaine.
Un an plus tard, quand Gartner publia son « Hype Cycle » 2016, de grandes entreprises comme Oculus, HTC, Google et Samsung avaient rendu les casques HMD largement abordables, en utilisant les technologies des smartphones, moins coûteuses. Gartner a donc classé la RV dans la catégorie « pente de l’illumination », qui reflète la croissance et la diversité des applications de cette technologie. Quant à la RA, elle reste encore dans le « creux » mais remonte vite vers la « pente ».
Lorsque les taux d’adoption de ces technologies représenteront 20 à 30 % du marché, la RV et la RA auront atteint la prochaine étape du cycle de Gartner, le « plateau de productivité ». Le cabinet d’études estime que 5 à 10 années seront nécessaires pour que la RV et la RA fassent partie intégrante de l’activité quotidienne des entreprises.
« LA RV PERMET D’ADOPTER UNE APPROCHE COLLABORATIVE. CELA IMPLIQUE UN CHANGEMENT DE CULTURE [...] PLUS TÔT VOUS COMMENCEZ, MIEUX C’EST. »
PASCAL THEROND
COFONDATEUR, KALISTA
Dans son rapport « Profiles of Innovation » de 2016 portant sur la RA et la RV, la banque d’investissement internationale Goldman Sachs prévoit une croissance importante de ces deux technologies.Si les ventes d’équipements représenteront la quasi-totalité des revenus de 2016, le scénario de référence (modéré) de Goldman Sachs estime que les ventes dans le domaine de la virtualité immersive (Vi) devraient représenter 80 milliards de dollars d’ici 2025, dont 45 milliards en équipement et 35 milliards en logiciels.
Goldman Sachs prévoit que 75 % des dépenses concerneront la RV et 25 % la RA. 54 % des ventes seront destinées aux consommateurs et 46 % aux entreprises et au secteur public.
LA COURBE D’APPRENTISSAGE DE LA Vi
Lorsque les CAVE (Cave Automatic Virtual Environment) ont fait leur apparition en 1992, la technologie de RV était uniquement accessible aux organisations les plus importantes et les plus riches. Désormais, après des années de recherches et d’investissements, la RV devient accessible aux entreprises de toute taille.
« Au bout de plusieurs années (de travail pour créer un casque HMD abordable) nous avons vu la RV s’imposer, non seulement dans l’univers du jeu vidéo, mais également comme un nouvel outil d’interaction avec l’information », explique Hervé Fontaine, vice-président de la réalité virtuelle B2B pour HTC Vive. « Je ne parle pas ici d’information « plate », mais d’information en 3D, qui ressemble à la réalité. »
De nombreuses entreprises commencent déjà à intégrer la Vi dans leurs activités quotidiennes. Les experts s’accordent à dire que les autres entreprises n’ont donc que très peu de temps pour rattraper leur retard.
« Il est parfois difficile de communiquer sur la recherche technique complexe. Montrez votre travail en RV et les gens repartiront avec un souvenir très clair de ce que vous faites et pourquoi vous le faites. C'est une technologie très puissante. »
JOHN FENNER
MAîTRE DE CONFéRENCE EN PHYSIQUE MéDICALE, INSIGNEO INSTITUTE POUR LA MéDECINE IN SILICO, UNIVERSITé DE SHEFFILED
« L’utilisation de la réalité virtuelle exige de modifier la manière dont les entreprises travaillent, or changer les habitudes et les processus prend du temps », indique Pascal Therond, cofondateur de Kalista, cabinet de conseil installé en France et au Royaume-Uni, qui se spécialise dans le commerce de détail et dispose d’un département de RV en forte croissance. « De nombreuses organisations travaillent encore en silos, alors que la RV permet d’adopter une approche collaborative. Cela implique un changement de culture, ce qui prend encore plus de temps d’organisation. Donc, plus tôt vous commencez, mieux c’est. »
« Par ailleurs, nous ne sommes qu’au début de la RV et de la RA, donc une approche de type « test-and-learn » est vraiment profitable pour conserver une avance significative sur la « courbe d’apprentissage » par rapport aux concurrents et potentiels disrupteurs. »
UNE EXPERIENCE QUI TRANSFORME
La Vi est un outil puissant, car elle est la source d’expériences émotionnelles uniques, plus impressionnantes qu’avec n’importe quel autre outil.
« Il faut vivre la RV pour pouvoir la décrire », affirme John W. Fenner, maître de conférences en physique médicale à l’Insigneo Institute, spécialisé dans la médecine in silico, à l’université de Sheffield (Royaume-Uni). Cet institut soutient une initiative de l’Union européenne, dont l’objectif est de concevoir le modèle virtuel physiologique de l’être humain (VPH), un modèle informatique détaillé de l’ensemble des systèmes du corps humain.
« La RV est sans nul doute un outil efficace, qui permet d’impliquer le public dans nos recherches, de l’aider à comprendre ce que nous faisons, et pourquoi nous le faisons, et de lui fournir une expérience inoubliable », indique John Fenner. « Il est parfois difficile de communiquer sur la recherche technique complexe. Montrez votre travail aux gens en RV et ils repartiront avec un souvenir très clair de ce que vous faites et de pourquoi vous le faites. C’est une technologie très puissante. »
À présent, grâce aux casques HMD, la RV est accessible partout.
« Il n’est plus nécessaire de posséder un CAVE », précise John Fenner. « Il suffit d’un smartphone et de Google Cardboard pour vivre l’expérience de la RV. Si la RV devient un produit usuel, accessible à tous, cela changera complètement la donne. Il n’est pas toujours facile d’interagir avec des médecins, car leurs emplois du temps sont très chargés. Cependant, avec l’arrivée de la RV, les gens viennent régulièrement frapper à notre porte car ils s’intéressent au potentiel de cette technologie. »
Le pouvoir de communication de la Vi suscite également l’intérêt des enseignants à tous les niveaux.
zSpace propose aux établissements scolaires et aux centres médicaux des système de RV de « CAVE sur table ». Grâce à des bibliothèques de modèles 3D existantes, les élèves peuvent disséquer une grenouille numérique de manière répétée, ce qui serait impossible avec une vraie grenouille. En médecine, plutôt que d’examiner un cœur ordinaire et idéal, les spécialistes peuvent modéliser un organe spécifique du patient et étudier ses anomalies en RV.
« Ils recréent véritablement votre cœur à partir de données réelles et peuvent ainsi expérimenter sans aucun risque », indique Pete Johnson, vice-président Strategic Business Development chez zSpace. « Ils peuvent se dire : « Et si on remplaçait cette valve, ou celle-ci ? Quelle est la meilleure façon de procéder ? » La possibilité de reproduire le monde réel présente de nombreux avantages. »
LE B2B PREND LES COMMANDES
Alors que la Vi s’impose dans les domaines de la médecine et de l’éducation, les entreprises l’utilisent aussi pour exécuter des processus complexes ou pour communiquer des idées.
Les entreprises B2B qui conçoivent en 3D disposent de vastes bibliothèques de modèles géométriques avancés, qui n’étaient auparavant visibles qu’en 2D sur des écrans d’ordinateurs. Grâce à la Vi, ces modèles peuvent désormais être utilisés pour vivre des expériences d’immersion complète qui offrent un grand nombre de possibilités, comme la conception enrichie de produits ou une nouvelle approche de la vente et du marketing.
« Pour la première fois, l'utilisation de la RV ne se limite pas aux grandes organisations. À présent, leurs petits sous-traitants et leurs partenaires y ont également accès. »
HERVÉ FONTAINE
Vice-président, réalité virtuelle B2B, HTC Vive
Embraer, le constructeur brésilien d’avions, a déjà expérimenté plusieurs versions de Vi pour perfectionner un environnement virtuel réaliste qui lui permet d’améliorer la conception de ses appareils.
« Notre première application de la réalité virtuelle était une solution de CAVE, mais seules les personnes qui étaient présentes sur place pouvaient visualiser les modèles, et les interactions se limitaient à un seul utilisateur », explique Paulo Pires, directeur général du centre d’ingénierie et de technologie d’Embraer en Floride, aux États-Unis. Grâce à la nouvelle salle de réalité mixte d’Embraer, ces limites ont disparu.
« L’intégration de nos modèles 3D de CAO à notre processus immersif d’examen des conceptions s’en est trouvée simplifiée et harmonisée », indique-t-il. « Nous avons accéléré le processus de développement des produits grâce à un examen immersif des conceptions, réalisé dans un environnement virtuel, qui combine des éléments numériques et des modèles physiques. Les participants interagissent avec des modèles virtuels, ainsi qu’avec une dizaine de collaborateurs, quelle que soit leur localisation physique. Tous les participants peuvent simultanément examiner et commenter les différentes options proposées. »
Selon Paulo Pires, la collaboration en réalité virtuelle comporte de nombreux avantages. « Les économies de temps et d’argent, lors de la production et l’évaluation de modèles physiques dans les ateliers de menuiserie et de métallurgie, comme dans le domaine de l’impression 3D, sont déjà largement reconnues. Les retours sur investissement qui en résultent confirment l’objectif principal de ce projet, qui est d’accélérer, de manière pertinente, le développement des produits. »
Prochaine étape pour Embraer : utiliser la Vi pour planifier et simuler tous les processus de production, toutes les procédures de maintenance des avions ainsi que pour personnaliser la conception de l’intérieur des jets privés, en lien avec ses clients.
LA CHAINE DE FABRICATION AUGMENTÉE
L'entreprise française Diota, spécialisée dans l'intégration de solutions de Vi dans l’intégration de solutions de Vi dans les processus industriels, remplace les manuels d’instructions traditionnels par la RA, améliorant ainsi la précision de la fabrication et la productivité.
Lorsque les différents éléments sont visualisés à l’aide d’une tablette, d’un système de projection ou de lunettes de RA équipés du logiciel de Diota, les consignes opérationnelles s’affichent directement sur les objets. Les ouvriers n’ont plus besoin de tourner les yeux pour lire les prochaines étapes du manuel d’instructions. L’affichage localise l’endroit exact où il faut percer ou découper et indique la valeur de couple à appliquer.
« Les ouvriers doivent réaliser des tâches très complexes », affirme Lionnel Joussemet, cofondateur de Diota. « Il est important qu’ils comprennent parfaitement ce qu’ils doivent faire. Lorsqu’il y a une situation de travail adaptée à la réalité augmentée, on remarque que les ouvriers sont très heureux de découvrir cette technologie et de s’y adapter. »
Chez Nvidia, David Weinstein observe le même enthousiasme envers la RA.
« Je pense que la RA l’emportera sur la RV pour les applications professionnelles », déclare-t-il. « Je ne souhaite pas toujours porter un casque HMD et entrer dans un monde virtuel. Souvent, je préfère simplement superposer les informations sur le monde réel. Nous finirons tous par nous habituer à porter des lunettes avec ce type d’affichage superposé, pour connaître le niveau des stocks dans l’usine ou localiser la tuyauterie au-dessus du plafond, par exemple. »
AU BONHEUR DES CONSOMMATEURS
Dans un environnement de consommation, la Vi permet un échange permanent avec le consommateur, ce qui augmente la possibilité pour les entreprises de mieux satisfaire ses attentes.
« Nous savons qu’il est parfois difficile pour les clients de comprendre un plan en 2D. Nous avons donc intégré progressivement des solutions 3D, qui permettent de visiter virtuellement nos appartements en ligne », indique Thomas Penet, vice-président marketing chez Altarea Cogedim, une entreprise française de construction de logements et de bureaux. « La mise en place progressive de la RV s’inscrit dans la continuité de cette nouvelle approche. »
Grâce à la RV, les clients d’Altarea Cogedim ont une vision claire de leur futur logement, avant même que leur maison ou appartement ne soit construit, évitant ainsi les mauvaises surprises de part et d’autre de la transaction.
« AVEC LA RV NOUS POUVONS RÉORGANISER LES PRODUITS VIRTUELS OU DÉPLACER LES RAYONS VIRTUELS, ET LE NOUVEAU MAGASIN EST PRÊT À ÊTRE TESTÉ. »
JEAN-MICHEL FLAMANT
DIRECTEUR DU DÉVELOPPEMENT, SILAB
La Vi permet également aux distributeurs et aux marques de prévoir l’agencement des produits en rayons, afin de les mettre en valeur. Silab (Shopping Innovation Lab), un laboratoire installé dans le nord de la France et dont l’objectif est d’accélérer l’innovation liée aux comportements d’achat, utilise la Vi pour améliorer l’expérience d’achat. En combinant des casques de RV, des solutions de suivi du regard et un CAVE, le Silab permet aux distributeurs et aux fabricants d’évaluer la réaction des consommateurs en fonction de la disposition des produits.
« Nous utilisons notre CAVE, ainsi que la solution Perfect Shelf, pour finaliser les nouveaux agencements de magasins », explique Jean-Michel Flamant, directeur du développement du Silab. « Le gain de productivité qui en résulte est considérable. Auparavant, lorsque nous nous retrouvions face à un agencement qui ne marchait pas, il nous fallait repartir de zéro. Avec la RV, nous pouvons réorganiser les produits virtuels ou déplacer les rayons virtuels et le nouveau magasin est prêt à être testé. »
L’ESSOR DE LA Vi
Dans un futur proche, le potentiel d’applications de la Vi ne pourra que croître, à mesure que les PME commenceront à explorer ses fonctionnalités et que les grandes entreprises poursuivront leurs efforts pour repousser les limites de l’imagination.
« Ces 18 derniers mois ont été marqués par un énorme bond en avant », déclare Hervé Fontaine, de HTC. « Les casques HMD équivalents au « Business Edition » de Vive, spécialement adapté aux besoins des professionnels, rendent la RV accessible aux entreprises, pour un prix plusieurs centaines de fois inférieur au prix d’un CAVE. Cela signifie que, pour la première fois, l’utilisation de la RV ne se limite pas aux grandes organisations. À présent, leurs petits sous-traitants et leurs partenaires y ont également accès. »
Selon Hervé Fontaine, ce développement est essentiel, car la collaboration entre de grandes entreprises (telles que les constructeurs automobiles ou aéronautiques) et leurs fournisseurs ou partenaires est cruciale pour concevoir et fabriquer de nouveaux modèles.
« Même si, au départ, la RV était principalement un outil de visualisation, elle va permettre de développer la collaboration à distance à grande échelle », indique-t-il. « Ce développement est comparable à l’essor de la messagerie instantanée face aux e-mails. Nous allons passer des réunions planifiées, avec des participants et un lieu physique donnés, à des réunions instantanées, sans lieu physique et avec des participants répartis sur de nombreux lieux différents (par exemple, chez des clients). La RV est sur le point de devenir un outil incontournable qui permet de travailler manière collaborative, plus rapidement, plus efficacement et où que vous soyez. »