Face à l'intérêt grandissant pour le développement durable, les entreprises ont besoin de comprendre clairement l'impact de leurs décisions sur l'environnement et leurs activités.
« Les objectifs politiques, les demandes des consommateurs et les solutions des fournisseurs ne cessent d'évoluer. Chacun de ces changements aura un impact sur l'entreprise », déclare Reinout Heijungs, professeur agrégé au département d'analyse des opérations de la Vrije Universiteit Amsterdam. « C'est en explorant de nouvelles possibilités et en visant la résilience que les entreprises peuvent faire face. »
Parmi ces possibilités, une nouvelle opportunité se présente à nous. Actuellement en cours de développement, elle consiste à combiner les logiciels de conception, d'ingénierie, de fabrication et de logistique déjà utilisés par plusieurs centaines de milliers d'entreprises à travers le monde avec des bases de données d'analyse du cycle de vie (ACV). L'ACV permet ainsi d'évaluer les impacts environnementaux de la plupart des activités, de l'approvisionnement en matières premières à la livraison des produits finis.
L'objectif ? Fournir aux millions de collaborateurs qui utilisent ces applications un retour en temps réel sur les options les plus durables dans le cadre des décisions qu'ils prennent chaque jour. Quelle conception utilisera le moins de matériaux ? Existe-t-il une solution chimique moins nocive pour ce procédé ? En quoi acheter auprès d'un fournisseur par rapport à un autre changera-t-il les émissions de carbone dues à l'acheminement de leurs produits dans notre usine ? Pouvons-nous travailler avec un fournisseur qui utilise de l'énergie renouvelable pour ses activités plutôt qu'un autre qui utilise de l'énergie au charbon ?
L'ACV permet de répondre à toutes ces questions. Elle utilise les données primaires collectées par une entreprise sur ses propres processus, ainsi que des informations secondaires collectées à partir de plusieurs milliers de sources. Mais mettre en place l'ACV est un processus complexe. Rares sont les personnes qui savent d'ailleurs l'utiliser et interpréter les résultats avec précision. C'est pourquoi la plupart des entreprises limitent leur utilisation de l'ACV à des projets spéciaux ou à des rapports annuels décrivant des impacts qui ont déjà eu lieu.
Intégrer des données issues de l'ACV dans les puissants modèles informatiques 3D de développeurs produit – plus connus sous le nom de jumeaux virtuels ou de jumeaux numériques – permettront de fournir aux entreprises un aperçu en temps réel, facilement accessible. Si chaque concepteur, ingénieur, expert en fabrication ou acheteur peut influencer positivement l'empreinte écologique de son entreprise grâce à l'ACV, nous pourrions ainsi augmenter sensiblement la valeur et l'impact positif des données.
« L'ACV apporte les données et métriques nécessaires pour évaluer les impacts environnementaux tout au long du cycle de vie d'un produit. L'associer aux jumeaux virtuels ouvre un nouveau champ des possibles afin de gérer ces impacts en amont. »
Emilia Moreno Ruiz
Directrice adjointe, ecoinvent
Alors que nous utilisions principalement l'ACV pour mesurer des impacts environnementaux passés, « nous constatons aujourd'hui une tendance croissante où l'ACV est utilisée pour évaluer des scénarios futurs dans la gestion de la chaîne d'approvisionnement et la conception de produits », a déclaré Emilia Moreno Ruiz, Directrice adjointe d'ecoinvent, une organisation suisse à but non lucratif qui fournit un service de bases de données pour les ACV.
Favoriser la prise de décisions éclairées, fondées sur les données
Fournir aux décideurs des données en temps réel sur les impacts de leurs décisions avant qu'ils n'agissent est un objectif ambitieux, d'autant plus que le périmètre de l'ACV se complexifie.
« Dans le cycle de vie d'un véhicule, par exemple, la question n'est pas seulement de savoir si l'électricité est meilleure que le gaz », a déclaré Reinout Heijungs, un expert mondial reconnu de l'ACV. « C'est aussi une question de contexte : autoroute ou embouteillage urbain, calendrier (soit immédiat, soit dans l'hypothèse d'une électricité renouvelable à 50 %), niveau de précision... Pour un écolabel, vous avez également besoin de plus d'informations que pour une mention approximative interne à l'entreprise, etc. Les entreprises souhaitent également que le champ d'application de l'ACV couvre plusieurs types d'impacts : les impacts sur les services écosystémiques ; les impacts sociaux comme l'égalité des sexes ou le travail des enfants tout au long de la chaîne d'approvisionnement ; les impacts positifs comme l'évaluation de l'apport en vitamines d'un produit alimentaire ; et les impacts négatifs sur le changement climatique. »
Les jumeaux virtuels sont des modèles 3D multiphysiques scientifiquement précis, utilisés par les concepteurs et ingénieurs pour développer, tester et optimiser de nouveaux produits et processus dans le monde virtuel. Pour relever ce défi, ils contribuent à la mise en place d'un processus digital, capable d'intégrer les processus d'ACV dans le développement produit, les tests et la fabrication. Ingénierie, achats, fabrication... Toutes les parties prenantes ont ainsi des informations clés en main pour concevoir un produit et peuvent avoir une visibilité sur l'impact de leurs décisions sur l'environnement avant d'agir.
Démocratiser l'ACV
Pour être en mesure de fournir des informations précises, l'ACV doit collecter et analyser des volumes considérables de données de haute qualité, provenant de sources externes comme internes et ce, tout au long du cycle de vie d'un produit. Les fournisseurs de bases de données environnementales dédiées, comme ecoinvent, permettent de simplifier cette tâche en fournissant les données nécessaires pour combler d'éventuelles lacunes et établir des références.
Mais encore aujourd'hui, l'ACV est un processus particulièrement long et complexe, et nécessite des connaissances spécialisées telles, qu'elle n'est généralement gérée que par des consultants externes, limitant ainsi son utilisation à des projets majeurs comme les rapports annuels.
Allier l'ACV à un jumeau virtuel permet de placer des données environnementales standardisées au cœur du processus de développement de produits et ainsi d'augmenter considérablement les possibilités d'utilisation afin d'assurer leur traçabilité, leur fiabilité et leur comparabilité dans le cadre des efforts de développement durable des entreprises. Cela permet à ces dernières de créer ce que Deloitte, dans son rapport 2020, appelle des projets d'ACV « de taille adaptée », c'est-à-dire des projets qui correspondent aux objectifs et résultats attendus et impliquent l'ensemble des parties prenantes (internes et externes) tout au long du processus.
L'ACV peut, par exemple, favoriser une action préventive afin de réduire les coûts et les impacts en identifiant les risques et les possibilités d'amélioration dès le début du processus de développement du produit, y compris à l'étape de collecte de données. En se concentrant sur les questions environnementales telles que la consommation d'énergie, les conséquences sur la qualité de l'eau ou les émissions de gaz à effet de serre, outre les objectifs habituels d'optimisation des processus, l'ACV peut apporter une véritable valeur ajoutée, notamment en minimisant les coûts et en améliorant l'identité de marque.
Adopter une approche proactive du développement produit
En nous focalisant sur des impacts environnementaux spécifiques tout au long de la chaîne de valeur, nous favoriserons la démocratisation de l'ACV et serons en mesure d'agir plus rapidement en fonction des recommandations. Matthias Finkbeiner et Vanessa Bach, spécialistes de l'ACV à la Technische Universität Berlin, dans un article datant de 2021, discutent de l'une des mégatendances du 21e siècle : la neutralité carbone. D'après eux, elle « offre la possibilité d'adopter des approches du cycle de vie au sein des entreprises et dans les prises de décision, ce que l'ACV pure n'avait encore jamais réussi à faire jusqu'alors ».
L'ACV PERMET D'ÉVALUER LES IMPACTS ENVIRONNEMENTAUX DE BOUT EN BOUT
« Associée aux jumeaux virtuels, l'ACV place les indicateurs de performance clés en matière de durabilité au cœur de l'optimisation des processus, car elle permet d'évaluer les impacts environnementaux de bout en bout, à chaque étape du cycle de vie d'un produit », a déclaré Lauren Ing, Directrice générale de la stratégie de développement durable chez Accenture. « Les entreprises peuvent, par exemple, utiliser la technologie pour collecter des données sur les matériaux ou les activités humaines, et créer un jumeau très spécifique du système, qui aura été personnalisé pour inclure leurs propres fournisseurs, qu'elles ajoutent dans l'ACV. Avec la visibilité que les entreprises obtiennent sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement, elles peuvent exploiter ces données de différentes manières, notamment pour segmenter la chaîne, [ou] pour hiérarchiser et travailler avec les partenaires sélectionnés. Cela peut représenter des avantages opérationnels et environnementaux et de gestion des risques. »
Se tourner vers l'avenir
Associer l'ACV aux jumeaux virtuels permet également aux entreprises de se projeter dans le futur. En combinant des données précises avec des capacités de simulation et de prévision sur une seule et même plate-forme, les entreprises permettent à leurs collaborateurs – avant de s'engager et d'agir – d'évaluer régulièrement les impacts environnementaux de leurs décisions en matière de conception, d'approvisionnement, de fabrication et de logistique.
« Au début de la phase de conception, les entreprises peuvent analyser les différentes options possibles et intégrer des critères qui seront pertinents bien plus tard dans le cycle de vie du produit », a déclaré Emilia Moreno Ruiz d'ecoinvent. « Cela signifie que nous pourrions inclure des paramètres d'urbanisme intelligent dans la conception d'un bâtiment ou encore intégrer, en amont de la conception d'une voiture, des facteurs comme les émissions ou la rareté des éléments nécessaires aux batteries. De plus, les entreprises peuvent utiliser l'ACV pour se mettre en conformité avec les réglementations qui se profilent à l'horizon, mais aussi tester des solutions innovantes en ayant recours éventuellement à l'ACV et aux jumeaux virtuels pour les promouvoir. »
En intégrant les jumeaux virtuels aux données et outils d'ACV, l'objectif est de faciliter une prise de décision véritablement démocratisée.
« L'ACV apporte les données et métriques nécessaires pour évaluer les impacts environnementaux tout au long du cycle de vie d'un produit », a déclaré Emilia Moreno Ruiz. « L'associer aux jumeaux virtuels ouvre un nouveau champ des possibles afin de gérer ces impacts en amont. Grâce à l'ACV, les évaluations environnementales multicritères – telles que les émissions de carbone ou la rareté de l'eau et des ressources – s'inscrivent au cœur de la conception de produits pour les entreprises et ce, dès les premières étapes. L'ACV augmentera considérablement l'efficacité, réduira les impacts environnementaux et boostera la transition vers un cycle de vie du produit circulaire. »