Modéliser la vie

Explorer et prédire : la simulation au service de la science

William J. Holstein
18 October 2014

3 minutes

Les scientifiques apprennent comment utiliser les données pour prédire quels patients répondront favorablement à un traitement. D’immenses progrès se font sur la compréhension des cellules humaines, des organes et des variations propres à chaque individu.

Si l’on teste un médicament lors d’essais cliniques sur 10 000 personnes souffrant de la même maladie, ce médicament peut être rejeté par les organismes de réglementation si celui-ci a un effet néfaste sur un seul de ces sujets. Les coûts d’un tel échec sont très élevés pour la société et pour l’entreprise qui a mis au point le médicament. « Si le médicament améliorait la santé de 9 999 patients sur 10 000, cela veut dire que ces 9 999 ne pourraient pas en bénéficier », déclare François Képès, Genopole France, entreprise spécialisée dans la biologie synthétique, lors de la BioIntelligence Initiative, un consortium d’entreprises du secteur des sciences de la vie, de fournisseurs de technologie et d’instituts de recherche.

Pour faire face à de tels défis, le consortium a développé une plateforme de collaboration, de modélisation et de simulation au sein de l’industrie des sciences de la vie pour prévoir comment les molécules complexes réagiront dans le corps humain, comprendre les fonctions complexes des organes, élaborer de nouveaux médicaments et choisir le meilleur traitement pour chaque patient.

MÉDECINE PERSONNALISÉE

génome d’une personne coûte environ US$1 000 pour un résultat disponible en 24 heures. Les chercheurs misent sur une baisse continue de ce coût pour cartographier la structure génétique spécifique de n’importe quel patient à un prix abordable. « Nous sommes aujourd’hui plus à même de prédire que tel médicament convient à telle personne mais pas à d’autres », explique F. Képès. Les implications des travaux du consortium pourraient avoir une portée majeure pour les entreprises du secteur et les aider à définir précisément leurs populations cibles.

PRÉVOIR L’IMPRÉVISIBLE

Les scientifiques s’emploient également à concevoir des modèles d’organes à partir d’une quantité massive de données, puis demandent à ces modèles de comprendre l’impact d’un traitement spécifique, sans avoir recours aux tests sur l’homme ou les animaux. Le projet « Living Heart », co-financé par l’Université de Harvard et le MIT, situés à Cambridge, Massachusetts (USA), en est un exemple.

En parallèle, Bernhardt Trout, professeur d’ingénierie chimique au MIT et directeur du Novartis-MIT Center for Continuous Manufacturing (Centre pour la production continue), tente de modéliser les processus individuels dans les cellules. À l’aide de puissants superordinateurs, il a développé et testé des algorithmes qui prédisent comment réagiront les anticorps lorsqu’ils atteindront certaines zones stratégiques de la surface d’une protéine connues comme « points chauds ». Les algorithmes, basés sur ses connaissances en matière de propriétés physiques et chimiques des protéines, sont suffisamment simples pour en faire la démonstration sur un ordinateur portable en quelques minutes.

SE RECENTRER

Les chercheurs ont recours à des logiciels basés sur les algorithmes de B. Trout pour limiter l’interminable liste de composés probables à une liste de candidats sérieux pour la recherche de médicaments. Ces recherches impacteront les trois étapes de la commercialisation d’un médicament : découverte, développement et fabrication. « J’espère assister à la transformation du secteur dans les 10 à 20 ans à venir », déclare-t-il. Selon lui, rien qu’aux États-Unis, l’industrie pharmaceutique consacre US$200 milliards par an à la découverte et la production de médicaments, chiffre que ses recherches pourraient réduire de 30%. Cela permettrait d’économiser US$60 milliards qui pourraient être investis dans la découverte de nouveaux médicaments.

Lors de la création de médicaments à base de protéines, les scientifiques doivent éviter ceux qui ont tendance à s’agréger. Les agrégats peuvent réduire l’efficacité du médicament, compliquer sa fabrication ou son administration, ou potentiellement déclencher une réponse immunitaire indésirable chez le patient. Le logiciel prédictif permet d’identifier les agrégations de protéines dites « points chauds » (zones rouges), alerter les scientifiques pour muter la protéine ou la remplacer par une autre. (Image © BIOVIA)

FINI LES SUPPOSITIONS

Les travaux des scientifiques sur les éléments constitutifs des cellules, dont les protéines et les enzymes, ouvrent la voie aux logiciels qui prédisent avec certitude comment les substances affecteront les tissus humains. « Si les concepteurs de logiciels créaient un logiciel prédictif, cela révolutionnerait la recherche et le développement pharmaceutique », déclare Bernard Munos, maître de conférences à FasterCures, un centre du Milken Institute basé en Californie. « Au lieu de nous creuser les méninges, nous pourrions interroger le logiciel. Je pourrais dire : “Je souhaite inhiber telle enzyme. Donne-moi la prochaine étape”. Le logiciel lancerait une simulation et indiquerait si votre intervention est susceptible de produire le résultat escompté ou si elle dérèglerait le métabolisme de la cellule et la détruirait. » La puissance informatique et la connaissance humaine devront encore progresser avant cela, estime B. Munos. Mais quand cela se produira, ajoute-t-il, « nous aurons transformé la biologie en science prédictive ». ◆

https://www.youtube.com/watch?v=ulwMlJlycS0

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