Transformer l’industrie maritime pour un avenir plus durable


25 March 2021

5 minutes

Composé de 440 organisations, le Cluster Maritime Français (CMF) met en avant un changement à l'échelle de l'industrie pour atteindre une durabilité à la fois environnementale et commerciale. Compassu a échangé avec le président du CMF, Frédéric Moncany de Saint-Aignan, sur l'importance de travailler en collaboration entre les nombreuses parties prenantes de l'industrie, avec d'autres industries et avec les représentants du gouvernement, ainsi que sur la façon dont la numérisation contribue à la transition de l'industrie.

COMPASS : Le Cluster Maritime Français (CMF) joue une rôle étonnamment important dans l'économie française. Pouvez-vous nous en dire plus sur son champ d'action, sa mission et ses objectifs ?

FRÉDÉRIC MONCANY DE SAINT-AIGNAN : Armateurs et exploitants de navires, chantiers navals, pêche, énergie (dont gaz et pétrole), loisirs, finance, formation… Le CMF rassemble tous les acteurs et secteurs de la filière maritime française. La France possède la deuxième plus grande zone maritime mondiale, derrière les États-Unis, car elle comprend de vastes océans autour des territoires polynésiens. Plus importante que l'aéronautique et les télécommunications, l'industrie maritime française représente plus de 95 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel (soit 108 milliards de dollars américains) et compte 350 000 collaborateurs (hors tourisme).

Profil
Pendant 25 ans, Frédéric Moncany de Saint-Aignan a travaillé en tant que capitaine et pilote fluvial au port de Rouen, en France. En 2009, il est nommé président de la Fédération Française des Pilotes Maritimes (FFPM), puis vice-président de l'Association Internationale des Pilotes Maritimes (AIPM). Président du Cluster Maritime Français (CMF) depuis 2014, il devient également président de l'École Nationale Supérieure Maritime (ENSM) en 2019.

Le CMF a également créé la Coalition pour la transition écologique et énergétique du maritime, qui comprend plus de 20 acteurs majeurs de l'industrie. Le but de cette coalition est de définir une vision à 2050 de la transition écologique et énergétique du maritime, et d'identifier les principales actions à mettre en place pour atteindre les objectifs de réduction des gaz à effet de serre fixés par l'Organisation maritime internationale (OMI).

En plus de rassembler les principaux acteurs de l'industrie, nous promouvons le CMF auprès d'entreprises et de responsables politiques, mais soutenons également le développement de l'économie bleue (aussi appelée l'économie des océans), que la Banque mondiale définit comme « l'utilisation durable des ressources océaniques pour la croissance économique, l'amélioration des moyens de subsistance et des emplois, tout en préservant la santé de l'écosystème océanique. »

COMPASS : Pouvez-vous nous expliquer comment l'économie bleue arrive à combiner le développement, la durabilité, l'environnement et l'économie ?

FRÉDÉRIC MONCANY DE SAINT-AIGNAN : Selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l'économie bleue mondiale représentera d'ici une dizaine d'année deux fois sa taille actuelle, soit 2 500 milliards d'euros (ou 3 000 milliards de dollars américains). Parallèlement à la croissance d'industries marines traditionnelles, d'autres secteurs – nouveaux ou en pleine expansion – vont considérablement se développer. Ces derniers comprennent l'énergie, l'aquaculture, le tourisme, l'exploitation minière sous-marine et les minéraux, mais aussi la biodiversité qui connaîtra de nouvelles avancées sur les plans alimentaire et médical et ce, à partir d'algues et d'animaux cellulaires. Les possibilités de découverte sont infinies. Le Président de la République française, Emmanuel Macron, a annoncé un « 21ème siècle maritime », étant donné que l'industrie constitue le principal moteur économique de la France.

COMPASS : Comment la technologie contribue-t-elle à booster l'innovation, à favoriser la collaboration et à renforcer les synergies opérationnelles ?

FRÉDÉRIC MONCANY DE SAINT-AIGNAN : Grâce à une plate-forme digitale universellement accessible, nous avons la possibilité d'accéder rapidement à des données précises, mais aussi de fournir et de partager de manière collaborative les bonnes informations. Aux côtés d'entreprises spécialisées dans l'automobile et l'aéronautique, nous sommes en mesure d'explorer rapidement et efficacement de nouveaux types de carburants, de propulsion pour navires, de grues et de véhicules. Nous mettons au point des substituts sanguins et des pansements à partir de micro-organismes marins. Nous concevons, testons et goûtons de nouveaux aliments géniaux. Quant à l'exploitation minière sous-marine, elle ne cesse de se développer. Ces activités, entre autres, soutiennent durablement la croissance et contribuent à réduire les conséquences environnementales négatives.

COMPASS : Quels sont les défis urgents auxquels nous faisons face dans le secteur maritime ?

FRÉDÉRIC MONCANY DE SAINT-AIGNAN : Nous devons lutter contre l'usage du plastique, les émissions de gaz à effet de serre, l'extinction des espèces ou encore le changement climatique. En travaillant de concert, l'industrie est sur la bonne voie en matière de durabilité – environnementale et opérationnelle. Elle est notamment en train de mettre en place de nombreuses initiatives majeures. Par exemple, la coalition « Getting to Zero » s'est engagée à mettre en service d'ici 2030 des navires de haute mer à zéro émission qui soient commercialement viables – un objectif particulièrement ambitieux pour le transport maritime. Autre initiative : les Principes de Poséidon. Ce programme fournit un cadre qui intègre les enjeux climatiques dans les décisions de prêt à la banque afin de favoriser la décarbonisation du transport maritime international. À ce jour, 18 grandes banques et institutions financières se sont engagées dans cette initiative. Elles représentent à elles seules 128 milliards d'euros (soit 150 milliards de dollars américains) de financement pour le transport maritime.

Ensemble, nous sommes certes plus intelligents, mais nous sommes surtout capables d'aller plus loin. C'est pour cette raison que le CMF travaille aux côtés d'organisations non gouvernementales (ONG), d'entreprises, d'établissements financiers et de gouvernements. L'objectif étant d'identifier des solutions durables à l'échelle mondiale, mais aussi d'engager rapidement la transition pour les mettre en œuvre.

COMPASS : Quels sont les principaux obstacles à surmonter ?

FRÉDÉRIC MONCANY DE SAINT-AIGNAN : Les solutions en mer ont toujours un certain coût. Elles nécessitent donc souvent du temps et des investissements financiers à long terme. Une plate-forme digitale professionnelle qui héberge des informations provenant de sources et de projets multiples permet aux parties prenantes d'avoir une vue d'ensemble et de prendre des décisions plus éclairées et plus intelligentes.

COMPASS : Quel rôle l'innovation joue-t-elle ?

FRÉDÉRIC MONCANY DE SAINT-AIGNAN : Pour nous, l'innovation représente l'avenir. Grâce à l'innovation de personnes et d'entreprises travaillant à l'unisson, la technologie bleue (ou technologie marine) permet de transformer l'économie. Rassembler virtuellement plusieurs industries est essentiel. Cela permet de booster véritablement l'innovation, de transformer les synergies opérationnelles, d'initier des changements de paradigme et de mettre en place de nouveaux modèles d'entreprise.

COMPASS : Avez-vous des exemples d'interactions aux retombées positives ?

FRÉDÉRIC MONCANY DE SAINT-AIGNAN : Un jumeau virtuel est capable de représenter de manière précise l'ensemble du cycle de vie d'un navire et ce, dans les moindres détails.  Il peut ainsi interagir virtuellement avec les ports, les opérations terrestres et l'environnement au sens large. Grâce au jumeau virtuel, la modélisation et la simulation permet aux activités industrielles d'être plus efficaces, plus autonomes et plus respectueuses de l'environnement. En partageant des idées et des données de cette manière, nous sommes en mesure de créer et de proposer des solutions plus optimales.

COMPASS : À quoi ressemble l'avenir de l'industrie maritime ?

FRÉDÉRIC MONCANY DE SAINT-AIGNAN : L'avenir de l'industrie est plus que prometteur. Aujourd'hui, l'industrie connaît son âge d'or et ce, depuis la transition de l'énergie éolienne à l'énergie thermique, au milieu du 19ème siècle. Désormais, la technologie est si avancée qu'il est de plus en plus facile d'innover et de mettre en œuvre de nouvelles idées. L'industrie se développe à un rythme sans précédent et est bien partie pour continuer sur cette voie-là. En proposant leur expertise au CMF, entreprises et particuliers contribuent aux transformations dont l'industrie, la société et les océans ont besoin pour façonner un avenir qui soit véritablement durable.

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