ace à la pression croissante de la société, aux dispositions réglementaires toujours plus contraignantes et à des investisseurs qui exigent de plus en plus des entreprises qu'elles investissent davantage dans des projets neutres en carbone, le secteur de l'énergie et des matériaux doit trouver le juste équilibre pour minimiser son empreinte écologique en répondant à la demande croissante d'énergie et en se réinventant pour réduire ses émissions de CO2 à l'avenir.
Il y a dix ans, rares étaient les entreprises pétrolières, gazières et minières qui auraient accordé la priorité à la décarbonisation et inclus les énergies renouvelables dans leurs objectifs stratégiques à long terme. Aujourd'hui, au contraire, nombre d'entre elles s'engagent à réduire leur empreinte carbone.
En matière d'émissions de gaz à effet de serre, BP affirme vouloir atteindre la neutralité carbone d'ici 2050. Royal Dutch Shell, le groupe français Total et la société norvégienne Equinor réalisent quant à eux des investissements considérables dans les énergies renouvelables. Face à la pression de ses actionnaires, ExxonMobil Corporation a également annoncé en mars investir 3 milliards de dollars (2,5 milliards d'euros) d'ici 2025 dans les technologies de séquestration géologique du dioxyde de carbone. Enfin, Teck Resources, une entreprise basée à Vancouver qui exploite le cuivre, le charbon et le zinc, a confirmé son intention d'être neutre en carbone d'ici 2050.
« Parmi les principales compagnies pétrolières et gazières, beaucoup sont en passe de se lancer sur les marchés de l'éolien offshore », explique Shalom Divekar, analyste de recherche senior pour l'énergie et l'électricité chez MarketsandMarkets Research. « Elles ont d'ailleurs déjà un pied dedans. Pour ce qui est des prochaines étapes, il sera intéressant de voir le rôle qu'elles veulent jouer dans cette grande industrie que représentent les énergies renouvelables, de l'acquisition de parcs éoliens au développement de nouvelles technologies par exemple. »
40%
Directly and indirectly, the oil-and-gas industry accounts for more than 40% of all human-made greenhouse-gas (GHG) emissions.
Ce changement reflète la nouvelle réalité de l'industrie. De plus en plus rapide, la course à la décarbonisation risque d'affaiblir les anciens modèles commerciaux de l'industrie, mais également de faire disparaître ses clients. Quant aux investisseurs, ils se retirent juste au moment où les entreprises du secteur de l'énergie et des matériaux ont le plus besoin de capitaux pour se réinventer.
Alors, que faire ? Réussir un difficile numéro d'équilibriste consistant à fournir une société qui dépend encore d'elles pour l'énergie, le transport et les minéraux, mais de manière plus propre, tout en se repositionnant pour se préparer au jour où leurs anciens modèles commerciaux ne seront plus d'actualité dans un monde prêt à fonctionner avec les énergies renouvelables.
Comme l'a récemment expliqué Eric Toone, responsable technique de Breakthrough Energy Ventures, un fonds d'investissement axé sur le développement durable fondé par Bill Gates, dans une interview au magazine Fortune, les compagnies pétrolières et gazières sont « d'une importance critique » dans cette transition, « parce qu'elles comptent parmi les seuls acteurs au monde capables de structurer les choses à grande échelle ».
Miser sur nos connaissances en matière de carbone pour limiter notre empreinte
L'industrie pétrolière et gazière est responsable de plus de 40 % de toutes les émissions de gaz à effet de serre (GES) d'origine humaine. Environ 40 % de ces émissions proviennent de ses propres activités, comme le torchage des rejets de gaz des puits de pétrole et les fuites de méthane non détectées dans les conduites. Quant au reste des émissions, elles sont issues de la combustion de carburants dans les centrales, les usines et les transports.
Comme le souligne McKinsey & Company dans son rapport « Le futur se joue maintenant : comment les compagnies pétrolières et gazières peuvent limiter leur empreinte carbone », la diminution de ces émissions est le moyen le plus efficace pour que l'industrie réduise son impact environnemental de manière significative. C'est aussi l'occasion pour l'industrie de montrer que ses activités traditionnelles ont su évoluer tout en participant à la construction d'un avenir durable et propre.
Pour McKinsey & Company, les technologies digitales actuelles jouent un rôle essentiel dans l'amélioration de l'efficacité énergétique. D'après le rapport, la surveillance digitale des fuites dans les stations de compression pour les opérations (de production) en amont et le transport intermédiaire du brut pourrait permettre aux opérateurs de réparer rapidement les fuites et ainsi de minimiser les pertes. Dans les raffineries, la surveillance digitale des conduites et des équipements pourrait avoir les mêmes avantages pour les opérations en aval.
Selon McKinsey & Company, ces mesures préventives font preuve d'une telle efficacité qu'un producteur de pétrole et de gaz terrestre a même constaté qu'environ 40 % de ses activités de prévention des émissions avaient une valeur actuelle nette, au prix actuel du pétrole et du gaz.
Une perpétuelle exploration
Importation d'énergie, électrification, micro-réseaux renouvelables, stockage intégré de l'énergie, surveillance et contrôle des installations, gestion à distance ou encore transformation digitale de la conception et de l'exploitation... Les entreprises ne cessent d'innover et de lancer des projets de grande envergure. Ces initiatives illustrent d'ailleurs bien les difficultés qu'implique la transition vers une économie faible en carbone ; des difficultés auxquelles l'ensemble des parties prenantes sont en train de faire face pour en tirer les leçons.
« Nous voyons des entreprises se concentrer sur la surveillance et le contrôle, la production et le transport d'électricité ainsi que l'automatisation de la distribution. Pour l'instant, le principal défi que nous rencontrons dans le cadre de cette transition, c'est le manque d'investissements. Il s'agit de notre plus grand obstacle à l'heure actuelle. »
Shalom Divekar
Analyste de recherche senior pour l'énergie et l'électricité chez MarketsandMarkets Research
« Il ne suffit pas d'en faire moins pour voir baisser ses émissions de carbone », résume Leon Saunders Calvert, responsable de la recherche et de la gestion de portefeuille pour London Stock Exchange Group et responsable de l'investissement durable pour Refinitiv. « La leçon majeure que nous avons retenue, c'est que nous avons besoin de plus de technologies et de plus de capitaux, et notamment d'investissements massifs dans la décarbonisation. »
Les compagnies pétrolières et gazières traditionnelles déploient tous leurs efforts pour passer à l'action et évoluer, même si les nouveaux contours de l'industrie restent flous.
Elles mettent en place de nouveaux modèles commerciaux et des technologies de dernière génération pour les 10 à 15 prochaines années (éolien terrestre, éolien offshore, éoliennes sans pales, hydrogène, batteries à flux, technologie d'électrolyse, biomasse et piles à combustible). Mais elles se heurtent à des obstacles. En témoignent les analystes. « Nous voyons des entreprises se concentrer sur la surveillance et le contrôle, la production et le transport d'électricité ainsi que l'automatisation de la distribution », observe Shalom Divekar. « Pour l'instant, le principal défi que nous rencontrons dans le cadre de cette transition, c'est le manque d'investissements. Il s'agit de notre plus grand obstacle à l'heure actuelle. »
Néanmoins, les expériences offertes par les nouvelles technologies aident non seulement l'industrie à se préparer pour l'avenir, mais répondent également aux exigences en matière de développement durable, comme le déclare Larry Fink, PDG de BlackRock, l'une des plus grandes entreprises de gestion de fonds d'investissement au monde, dans sa lettre annuelle aux PDG du monde entier de 2021 :
« À mesure que le rythme va s'intensifier, les entreprises qui auront défini une stratégie claire sur le long terme ainsi qu'un plan précis pour aborder sereinement la transition vers la neutralité carbone, seront celles qui se distingueront auprès des autres parties prenantes (clients, décideurs politiques, salariés et actionnaires) car elles auront su montrer qu'elles sont capables de réussir cette transformation à l'échelle mondiale ».
Il semblerait que les entreprises du secteur des ressources naturelles (pétrole, gaz, exploitation minière) aient bien reçu le message.