Comprendre les mécanismes d’un virus


25 March 2021

5 minutes

Dès que l'on prononce le mot « scientifique », la plupart des gens s'imaginent un chercheur aux cheveux en pagaille, avec sa blouse blanche, en train de remuer des béchers de produits chimiques en pleine ébullition. En bref, un chercheur qui essaie et échoue sans cesse, encore et encore. Jusqu'au jour où, comme par miracle, il fait une découverte qui va changer le monde.

Même étant enfant, je n'aimais pas cette image caricaturale de la science que l'on retrouve au cinéma, comme si chaque découverte scientifique était le fruit du hasard. Ma vision reposait déjà sur une approche fiable et méthodique qui suit un objectif clair pour atteindre le résultat prévu. Fondées sur les mathématiques, la physique et la médecine font partie des sciences rationnelles qui m'ont attiré. Rien de surprenant donc si je vous dis que j'ai obtenu un doctorat en biophysique moléculaire. La mission de cette discipline est de comprendre – par l'observation, mais aussi au niveau moléculaire – la manière dont les maladies et leurs traitements fonctionnent.

Aujourd'hui, grâce à des logiciels prédictifs basés sur la physique, la modélisation de la biophysique moléculaire a réalisé des progrès considérables. Et c'est notamment grâce à ces avancées que nous sommes passés à la vitesse supérieure dans la course au vaccin contre le SRAS-CoV-2, plus connu sous le nom de COVID-19.

LA MODÉLISATION À L'HEURE DE LA COVID-19

Depuis début 2020, au moment où la COVID-19 est passée du statut de virus à celui de pandémie, j'ai suivi de près les posts sur les réseaux sociaux et les publications de la communauté scientifique qui nous prouve chaque jour que la réponse à cette crise ne se trouve pas dans les erreurs et les simples tentatives, mais bien dans une connaissance et compréhension approfondies de la structure moléculaire du virus.

La modélisation moléculaire 3D a permis à nombre de ces chercheurs de passer plus rapidement de l'hypothèse à la conception d'un médicament en les aidant à visualiser la structure du virus. Grâce à elle, nous avons ainsi pu passer de la promesse d'un traitement au stade de l'essai clinique et ce, en un temps record.

Image © JHDT Productions / stock.adobe.com

Les caractéristiques les plus importantes de la structure du virus sont trop petites pour être visibles, même à l'aide d'un microscope électronique. Il était donc nécessaire de faire appel à un logiciel capable de modéliser les principales protéines constitutives du virus et d'afficher les résultats sous forme de modèles 3D scientifiquement précis. Les modèles permettent aux chercheurs de visualiser la manière dont le virus s'attache à son hôte et se réplique pour l'infecter. Forts de ces informations, les chercheurs peuvent ensuite utiliser des données relatives à des molécules connues afin d'identifier les composés ou produits biologiques les plus susceptibles de prévenir l'infection.

Parce que les preuves scientifiques se doivent d'être convaincantes, je cherche souvent à me prouver de nouveau que les algorithmes qui pilotent ces modèles sont aussi bons que possible. La pandémie de COVID-19 a offert une véritable opportunité pour tester leur potentiel incroyable.

UNE SUITE LOGIQUE

En janvier 2020, le virus avait été séquencé et plusieurs instituts de recherche ont rapidement fourni des structures expérimentales de certaines protéines de la COVID-19.  J'ai lu autant d'articles scientifiques que possible afin d'en savoir plus sur ce que les chercheurs connaissaient du SRAS – classe de virus comprenant la COVID-19 – à la recherche d'éléments qui nous permettent d'attaquer la protéine au cœur du fonctionnement du virus.

La modélisation moléculaire 3D a permis à nombre de ces chercheurs de passer plus rapidement de l'hypothèse à la conception d'un médicament en les aidant à visualiser la structure de la COVID-19.

Mon objectif était d'écrire un billet qui démontrerait la manière dont la modélisation 3D pourrait aider les chercheurs qui n'ont pas accès à la conception de médicaments basée sur la structure à mieux comprendre les cibles protéiques clés impliquées dans le processus d'infection ; mais également la façon dont ces informations pourraient être exploitées afin d'identifier les médicaments existants ayant le potentiel d'être réutilisés de manière scientifiquement précise contre le SRAS-Cov-2. Comme de nombreux scientifiques dans les laboratoires de recherche pharmaceutiques, biotechnologiques et universitaires du monde entier, je me suis concentré sur la principale protéase de type 3C, une protéine qui joue un rôle clé dans la réplication du virus. L'introduction d'un inhibiteur qui pourrait se lier à la protéase, sur ce que l'on appelle le « site actif », empêcherait le virus de se répliquer. Les inhibiteurs de protéase ont joué un rôle similaire dans les traitements mis au point pour lutter contre le VIH et l'hépatite C. Cette approche stratégique est donc déjà bien établie.

À partir d'une bibliothèque des 2 684 médicaments approuvés par la Food and Drug Administration aux États-Unis, le logiciel a rapidement identifié une liste réduite de composés potentiellement efficaces. Parmi les composés les plus prometteurs, plusieurs font actuellement l'objet d'essais cliniques pour traiter la COVID-19.

BOOSTER LA RECHERCHE

La pandémie a permis de créer un environnement collaboratif unique pour la communauté scientifique. Grâce à elle, les chercheurs peuvent désormais partager rapidement leurs résultats, alors qu'avant cela, j'aurais probablement attendu plusieurs années avant que mon hypothèse ne soit approuvée ou réfutée. Quelques semaines après la publication de mon billet, plusieurs prépublications et articles sont parus, faisant part de résultats expérimentaux prometteurs sur certains des mêmes composés que j'avais identifiés au cours de mes expériences virtuelles.

En sciences, un délai de plusieurs semaines est en réalité particulièrement court. Et la vitesse à laquelle nous progressons contre le virus est remarquable.

Au-delà des traitements pour ceux qui contractent la COVID-19, le développement d'un vaccin pour prévenir l'infection est essentiel afin de contrôler la pandémie. Une fois de plus, la biologie structurale a fait ses preuves en montrant qu'elle pouvait jouer un rôle majeur dans le développement d'un vaccin aux réponses immunitaires neutralisantes.

En janvier, des chercheurs chinois ont publié la séquence de la protéine spiculaire, une protéine qui permet au virus de pénétrer dans les cellules humaines. Ils ont ainsi permis à des chercheurs du monde entier de créer des modèles 3D à l'échelle atomique et ce, en un temps record. Ces structures ont ensuite été utilisées afin de concevoir de manière scientifiquement précise des mutants stables en vue d'un éventuel vaccin. Ces simulations atomistiques sont également essentielles, car elles permettraient de découvrir les anticorps qui pourraient empêcher le virus de pénétrer dans les cellules humaines.

Dans la lignée de la vision que je partage depuis de nombreuses années, ces traitements sont développés par des chercheurs qui travaillent de concert, non pas en ayant commencé avec une théorie vague et un espoir aveugle, mais plutôt avec une solide compréhension de la composition moléculaire de la protéine virale.

Anne Goupil-Lamy est membre du Conseil de Recherche pour Biovia, l'application de modélisation et de simulation moléculaire de Dassault Systèmes. Elle a obtenu son doctorat en biophysique moléculaire à l'Université Pierre et Marie Curie à Paris. Chez BIOVIA, elle a été responsable de la recherche contractuelle pendant de nombreuses années. Aujourd'hui, elle aide les scientifiques à appliquer les logiciels de BIOVIA à leurs travaux. Elle est également impliquée dans d'autres projets de recherche, collaborant avec des équipes universitaires et publiant régulièrement dans des revues spécialisées.

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