Dans un laboratoire de l’École de médecine de Hanovre, en Allemagne, des scientifiques étudient la manière dont la soie produite par les araignées peut servir à traiter les blessures, réparer les tendons et les nerfs déchirés. Ils ont réussi à combler un défaut de 6 centimètres sur le nerf tibial d’un gros animal. Le nerf s’est régénéré en seulement dix mois.
« Nous étudions les applications chirurgicales de la soie d’araignée, par exemple pour les sutures, et comme moyen de stimuler les nerfs et la peau en guérison », déclare Kerstin Reimers, professeur de médecine du département de chirurgie plastique et reconstructive, et chirurgie de la main à Hanovre. « Elle est plus solide que le nylon et dotée d’une immunogénicité réduite. Ses effets sur le processus de cicatrisation sont remarquables. »
Plus solide que l’acier et le Kevlar, plus élastique que le caoutchouc, la soie d’araignée est antimicrobienne, biocompatible et biodégradable. C’est l’un des matériaux qui suscite le plus d’intérêt pour les chercheurs. Elle est testée pour des applications médicales et militaires, notamment pour créer une armure pare-balles, mais aussi industrielles : câbles à haute résistance, films ultra-fins, revêtements.
UNE INFINITÉ D’APPLICATIONS
« Il existe une multitude de soies d’araignées. Bon nombre d’entre elles sont solides, élastiques et durables », commente Cheryl Hayashi, professeur de biologie à l’Université de Californie, à Riverside (USA). Elle étudie la génétique des soies d’araignées depuis 20 ans. « La combinaison de tels attributs rend ces soies très résistantes, d’autant qu’elles ne pèsent quasiment rien. On peut les utiliser seules pour créer des filaments et fils, ou les mélanger à d’autres matériaux pour des applications médicales, industrielles ou des biens de consommation. »
Le plus grand obstacle est de produire le matériau en volumes suffisants. Contrairement aux vers à soie, les araignées sont cannibales. Impossible, donc, d’élever des colonies concentrées. Aussi, elles produisent peu de soie. Par exemple, il a fallu huit ans et plus d’un million de néphiles dorées de Madagascar pour produire la soie nécessaire à la création de la cape de deux mètres exposée au Musée Victoria and Albert de Londres en 2012.
L’École de médecine de Hanovre élève ses propres araignées. L’extraction des fils de soie s’avère un processus minutieux. Une seule araignée peut produire des fils mesurant jusqu’à 200 mètres, une quantité insuffisante pour une application commerciale. Les scientifiques cherchent un moyen de produire une soie d’araignée synthétique pour se passer des araignées.
UNE PERCÉE EN GÉNÉTIQUE
Randy Lewis, qui a rejoint le Synthetic Bioproducts Center de l’Université d’État de l’Utah en 2011, est un pionnier de la production de soie synthétique. Il a découvert la première séquence génétique de la soie d’araignée et isolé le gène qui produit ses protéines. Lorsqu’il était professeur de biologie moléculaire à l’Université du Wyoming (USA), il a transféré ces gènes sur d’autres organismes, notamment des chèvres transgéniques qui produisent des protéines de soie d’araignée dans leur lait. Lorsqu’on les extrait du lait et les passe à la centrifugeuse, ces protéines produisent une fibre qui possède certaines propriétés de la soie d’araignée naturelle.
« La soie d’araignée est plus solide que le nylon et dotée d’une immunogénicité réduite. Ses effets sur le processus de cicatrisation sont remarquables. »
KERSTIN REIMERS
Professeur, école de medecine de Hanovre
R. Lewis et son équipe envisagent des méthodes de production des protéines de soie à partir de bactéries. En 2014, ils ont réalisé deux percées. « D’abord, nous avons réussi à multiplier par six, la quantité de bactéries que nous sommes capables de produire en cuve de fermentation », explique-t-il. « Ensuite, nous avons pu quadrupler la quantité de protéines que chaque bactérie peut produire. Notre capacité de production se voit donc décuplée. »
LA SOIE DE BACTÉRIES FERMENTÉES
Spiber, une entreprise créée par des membres de l’Université Keio, au Japon, a mis au point Qmonos, un matériau à base de fibroïne synthétique. La fibroïne est une famille de protéines qui constitue la soie naturelle, notamment celle des araignées et des vers à soie. Le Qmonos est conçu grâce à un procédé de fermentation microbienne et peut être décliné en fibres, gels, éponges et poudres. Des applications pour les industries automobile, aéronautique et médicale sont à l’étude. « À ce jour, Spiber a synthétisé plus de 400 variations de Qmonos », commente Kenji Higashi, le responsable marketing. « En 2013, nous avons lancé un prototype d’usine pour ajuster notre processus de production. D’ici quelques années, les premiers produits industriels Qmonos devraient arriver sur le marché. »
« Tout ce que nous faisons s’inspire de la nature, mais elle ne nous limite pas. »
Kim Thompson
PDG, laboratoire Kraig Biocraft
Dans le même temps, l’entreprise allemande AMSilk a réalisé les tests de son revêtement d’implants brevetés en silicone à base de protéines de soie d’araignée recombinées. En mars 2013, elle a annoncé la mise au point d’un processus breveté pour produire des fibres de soie à l’échelle industrielle. Depuis novembre 2013, AMSilk vend ses protéines de soie d’araignée à l’industrie cosmétique. « Le filage d’une fibre de soie d’araignée commerciale reste particulièrement délicat », constate Lin Römer, directrice générale et responsable du développement scientifique et technique de l’entreprise. « Néanmoins c’est possible. »
TEXTILES INNOVANTS
Le laboratoire Kraig Biocraft, basé à Lansing, Michigan (USA), est un autre favori de cette course à la recherche. Ses vers à soie transgéniques peuvent produire de nombreuses protéines de soie d’araignée et les assembler pour former des fibres solides. L’entreprise collabore déjà avec le fabricant de matériaux de protection américain Warwick Mills pour développer des textiles à base de soie d’araignée synthétique. « D’autres ont réussi à produire synthétiquement des protéines de soie d’araignée, mais ils n’ont pas résolu le problème de la production à grande échelle de ces fibres de protéine », constate Kim Thompson, fondateur et PDG du laboratoire Kraig Biocraft. « Il était logique d’utiliser des vers à soie pour produire de la soie d’araignée : ils constituent déjà une plateforme de production de soie viable au point de vue commercial. »
En collaboration avec le Dr Malcolm Fraser, professeur de biologie moléculaire et génétique à l’Université de Notre Dame en Indiana (USA), K. Thompson a créé ses vers à soie d’araignée grâce à une technique d’épissage. En 2010, ses premiers vers à soie « Monster Silk » ont vu le jour. Ils produisent une soie hybride à partir de celles des vers et des araignées. Depuis, son équipe se concentre sur la production commerciale et la création de nouvelles fibres de soie dotée de différentes propriétés. « Depuis le début de notre programme commercial en octobre 2013, nous avons déjà réussi à doubler notre production de soie », affirme-t-il. « Notre objectif à court terme est de pénétrer le marché du textile. À elle seule, l’industrie de la soie représente environ US$5 milliards par an. La soie normale coûte environ US$50 le kilo. Pour le même prix, je peux produire une super soie. »
MIEUX QUE NATURE ?
À ce jour, personne n’a réussi à confectionner une soie synthétique qui reproduirait toutes les propriétés de la soie d’araignée naturelle. Mais on s’en approche. « Pour l’instant, nos meilleures fibres sont l’équivalent du Kevlar, mais moitié moins bonnes que la soie naturelle d’araignée », déclare R. Lewis.
Spiber est également optimiste. « Certaines variations de Qmonos sont plus solides que la soie d’araignée naturelle », estime K. Higashi. « Nous en inventons tous les jours de nouvelles versions. Nous espérons donc obtenir des propriétés qui lui seront même supérieures. »
K. Thompson prédit que d’ici quelques mois, Kraig Biocraft devrait être en mesure de produire une soie synthétique aux propriétés équivalentes à celles de la soie naturelle. Il pense même avoir le potentiel de la surpasser. « Nous sommes arrivés au point où, en théorie, nous pouvons prendre une séquence génétique et y insérer une protéine différente pour ajouter une nouvelle propriété à la soie », confie-t-il. « Par exemple, nous pourrions créer une soie avec des propriétés antibiotiques. Tout ce que nous faisons s’inspire de la nature, mais elle ne nous limite pas. » ◆