Imaginez pouvoir alimenter un appareil avec un grain de raisin. Cela peut sembler absurde mais, selon John Blyler, maître de conférences adjoint en ingénierie des systèmes à l’université d’État de Portland (Oregon), c’est déjà possible. « Aujourd’hui, quelques minuscules grains de raisin suffisent à faire fonctionner un appareil électronique à ultra-basse consommation », déclare-t-il. « Il y a quelques années, le géant mondial des semi-conducteurs, Texas Instruments, a présenté une horloge numérique alimentée par un microprocesseur de 16 bits intégré à l’horloge qui nécessitait si peu d’énergie qu’il pouvait fonctionner avec quelques grains de raisin. L’infime quantité d’acidité contenue dans les grains, associée au contact métallique en zinc, a généré assez d’énergie pour alimenter l’horloge. » Ce principe chimique peut être utilisé dans l’agronomie pour alimenter un petit circuit de radiofréquence (RF) qui transmettrait l’état des lieux des sols à un ordinateur via un réseau sans fil. « Il ne s’agit là que des premiers balbutiements sur la manière dont le captage d’énergie peut être utilisé pour fournir des sources d’alimentation alternatives », ajoute J. Blyler.
ALIMENTER L’INTERNET DES OBJETS
Selon Cisco, 5 milliards d’individus et 50 milliards d’objets seront connectés à Internet d’ici 2020.
50 milliards
À ce jour, les appareils autonomes s’appuient sur trois sources principales d’énergie, explique Matthias Kassner, directeur marketing produits chez EnOcean, entreprise allemande spécialisée dans le développement d’une technologie sans fil autonome brevetée. « L’énergie cinétique, par laquelle tout mouvement latéral, toute rotation ou vibration peuvent générer de l’énergie à l’aide de récupérateurs électromagnétiques ou piézoélectriques ; l’énergie thermique, qui peut être transformée en énergie électrique ; enfin les sources d’énergie ambiantes telles que la lumière, les ondes électromagnétiques, ainsi que les systèmes chimiques et bioélectriques. »
L’ÉNERGIE DES VIBRATIONS
Dans le domaine de l’énergie cinétique, l’entreprise britannique Perpetuum basée à Southampton est leader du captage d’énergie vibratoire. Elle a mis au point une technologie qui transforme les vibrations en énergie électrique, permettant d’alimenter en permanence des nœuds de capteurs industriels sans fil, autonomes et sans maintenance. Ces nœuds de capteurs sont utilisés pour surveiller les roulements à bille des trains, tâche jusqu’alors effectuée manuellement. « Aujourd’hui, une flotte de trains dans le monde entier utilise les capteurs Perpetuum, alimentés par le captage d’énergie issu des vibrations », déclare Roy Freeland, PDG du groupe, président du comité de direction, d’Innovate UK dédié au captage d’énergie et membre du conseil consultatif scientifique ZEROPOWER de l’Union européenne. « Je peux vérifier mon smartphone pendant mes vacances et analyser, en temps réel, l’état des roulements à bille du train Londres-Brighton de 10h37. C’est un exemple type d’application à grande échelle destinée à l’IdO. »
L’utilisation des capteurs de vibrations est également très répandue dans les secteurs de l’énergie. « Les centrales à gaz, chimiques et électriques, dont Bently Nevada (filiale du groupe GE), Emerson et Honeywell, utilisent des systèmes de récupération d’énergie à partir de vibrations dans leurs usines de traitement », ajoute R. Freeland. « Cela signifie que les services d’exploitation centraux bénéficient d’une visibilité totale quant à l’état de leur équipement, où qu’il se trouve dans le monde. »
Parallèlement, GreenPeak Technologies, fournisseur de technologie de communication par RF destinée à la domotique (Utrecht, Pays-Bas), a mis au point un interrupteur sans batterie. « Le simple fait d’appuyer sur l’interrupteur génère assez d’énergie pour transmettre un signal à une lampe », affirme Cee Links, fondateur et PDG du groupe.
ÉNERGIE THERMIQUE ET AMBIANTE
Dans le domaine de l’énergie thermique, EnOcean a développé une technologie capable d’alimenter des nœuds de capteurs à l’aide de petites fluctuations de température. Les agriculteurs ont déjà recours à ce procédé pour récolter des données sur le terrain, dont les niveaux de température, d’humidité du sol, de pH et les macronutriments. « Notre technologie a conduit à l’émergence de vannes de chauffage autonomes, capables de réguler automatiquement la chaleur en se basant sur la température et l’occupation d’une pièce », explique M. Kassner. « Ce système permet de réduire les frais de chauffage, de l’ordre de 20 % à 30 %, sans intervention de l’utilisateur. »
« AUJOURD’HUI, QUELQUES MINUSCULES GRAINS DE RAISIN SUFFISENT À FAIRE FONCTIONNER UN APPAREIL ÉLECTRONIQUE À ULTRA-BASSE CONSOMMATION. »
JOHN BLYLER
MAÎTRE DE CONFÉRENCES ADJOINT EN INGÉNIERIE DES SYSTÈMES, UNIVERSITÉ D’ÉTAT DE PORTLAND
Les progrès du captage d’énergie ambiante incluent la capacité de diffuser de la puissance aux périphériques distants par des signaux Wi-Fi, en utilisant un routeur modifié qui émet du bruit et maintient une énergie constante pour fournir de l’énergie. « Récemment, notre groupe a démontré qu’il était possible d’alimenter des appareils à partir de points d’accès Wi-Fi jusqu’à une distance d’environ 9 mètres », affirme V. Talla.
L’énergie solaire représente une autre forme d’énergie ambiante. Basé à Kawasaki, le groupe japonais Fujitsu a seulement 2,5 millimètres d’épaisseur, peut être attachée à des surfaces incurvées, des angles, voire à des vêtements. Parallèlement, deux ingénieurs du département d’ingénierie électrique du Massachusetts Institute of Technology (Cambridge, Massachusetts) ont développé une puce miniature capable de convertir en électricité jusqu’à 80 % d’énergie solaire récoltée. La doctorante Dina El-Damak et son professeur Anantha Chandrakasan soulignent qu’il s’agit d’une avancée significative par rapport aux cellules solaires traditionnelles qui ne peuvent en convertir que la moitié.
MISE EN PERSPECTIVE
Si le potentiel de la récupération d’énergie s’avère prometteur, les experts préfèrent se montrer prudents et réalistes quant au degré d’application de ces solutions dans notre vie quotidienne. « La difficulté majeure des techniques de captage d’énergie, c’est qu’elles ne fournissent que peu d’énergie », déclare Hrishikesh Jayakumar, doctorant à l’université Purdue (West Lafayette, Indiana). « En outre, ces procédés offrent une énergie dynamique qui peut être générée sous forme de courtes impulsions ou de “goutte à goutte” continu, contrairement à ce que génère une batterie. »
« Pour l’heure, les applications se limitent aux appareils qui nécessitent peu d’énergie », précise M. Kassner. « L’implémentation de mises en veille efficaces est essentielle pour que seule une infime quantité d’énergie soit consommée lorsque le système est inactif. »
« SI NOUS POUVIONS REMPLACER LES PILES PAR DE L’ÉNERGIE RÉCUPÉRÉE POUR ALIMENTER LES DISPOSITIFS, LES APPAREILS DE L’IDO SERAIENT ADOPTÉS ET DÉPLOYÉS MASSIVEMENT. »
VAMSI TALLA
DOCTORANT EN INGÉNIERIE ÉLECTRIQUE, UNIVERSITÉ DE WASHINGTON
Cependant, R. Freeland met en garde les consommateurs. « J’ai lu récemment dans un journal national qu’à l’avenir, nos téléphones portables seraient alimentés avec l’énergie produite par des signaux RF ambiants », raconte-t-il. « Cette théorie est totalement fantaisiste. Certaines recherches semblent contourner les lois fondamentales de la physique. Si l’on souhaite avancer dans le domaine du captage d’énergie, nous devons nous montrer réalistes. Le fait est qu’en utilisant ces techniques, seules d’infimes quantités d’énergie peuvent être captées. »
Les limites de la puissance du captage d’énergie ont incité GreenPeak à se focaliser sur la création de nouvelles formes de charge de batteries, plus efficaces. « Nous avons passé trois ans à explorer le marché du captage d’énergie », indique C. Links. « Si plusieurs domaines offraient un fort potentiel, c’était économiquement irréalisable pour nous. A la place, nous avons entrepris de créer une batterie bon marché, à ultra-basse consommation et dotée d’une durée de vie de plus de 10 ans. »
RÉCOLTER POUR L’AVENIR
En dépit des limitations, les nouvelles applications du captage d’énergie offrent un immense potentiel pour l’IdO, et c’est un secteur qui ne montre aucun signe de ralentissement. Selon WinterGreen Research, cabinet d’études et d’analyse (Lexington, Massachusetts), le marché mondial, qui pesait US$131,4 millions en 2012, devrait atteindre US$4,2 milliards d’ici 2019.
Cette adoption semble inévitable dans le domaine des villes intelligentes. « Plus de la moitié de la population mondiale vit dans les villes », déclare M. Kassner. « Un contrôle intelligent sera nécessaire pour organiser le quotidien des individus tout en protégeant l’environnement et les ressources. Le concept de ville intelligente entend fournir un contrôle automatisé du trafic, des éclairages publics, l’alimentation électrique ou le transport des biens de première nécessité, ainsi que le traitement des déchets. Cette notion de ville intelligente n’est envisageable que grâce à des milliards de nœuds de capteurs sans fil qui récoltent et fournissent les données requises. »
« Nous constaterons une avancée dans certaines applications destinées à l’IdO, incluant des immeubles intelligents, où l’énergie sera générée localement et transmise sans fil, à la batterie rechargeable d’une prothèse auditive », prédit J. Blyler. « Des progrès seront également accomplis dans le domaine des vêtements connectés ; les consommateurs se montrent peu patients face aux appareils nécessitant une recharge constante. »
« L’avenir s’annonce globalement très prometteur », conclut M. Kassner. « Nous attendons une vague de développement de capteurs de l’IdO semblable à celle que nous avons connue avec les ordinateurs et les téléphones portables. » ◆